Entretien exclusif avec Monsieur Ibrahima Thiam président du Mouvement Autre Avenir : "En somme, pour limiter l'émigration, il faut offrir aux Sénégalais des perspectives concrètes"

22 - Août - 2024

Monsieur Thiam pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je vous remercie chaleureusement pour cette opportunité. Je m’appelle Ibrahima Thiam, j'ai l'honneur d’avoir fondé et de diriger depuis plusieurs années le mouvement politique sénégalais "Un Autre Avenir". Ce projet politique est le fruit de ma profonde conviction que notre pays a besoin d'un nouvel élan, une direction capable de porter les espoirs et les aspirations de chaque Sénégalais.

En tant qu'auteur, j'ai eu la chance de partager mes idées à travers trois ouvrages politiques. J'ai également collaboré avec Jean-Yves Duval, un journaliste-écrivain talentueux, à la rédaction d’une trilogie géopolitique intitulée Le Monde vu de ma Teranga qui explore les grands défis mondiaux, offrant une perspective unique sur les relations internationales, les conflits, et les dynamiques de pouvoir dans un contexte en constante évolution. J'ai aussi eu l'honneur de co-écrire Conversations croisées avec Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre du Sénégal, un ouvrage qui illustre nos échanges de vues et nos réflexions pour un avenir plus prometteur.

Sur le plan professionnel, je me consacre à la recherche en tant que Secrétaire Général du Centre de Recherche Saint-Antoine, sous la tutelle conjointe de l'INSERM et de Sorbonne Université. Chaque jour, aux côtés d'une équipe passionnée, nous travaillons à faire progresser la science et la médecine, dans l'espoir de contribuer, à notre échelle, à améliorer la qualité de vie de tous.

Quelle est votre vision pour le Sénégal et quels sont les principaux défis auxquels le président Bassirou Diomaye Faye et son équipe doivent faire face selon vous ?

Ma vision pour le Sénégal repose sur une transformation durable qui met l’accent sur l’éducation, la justice sociale, et la bonne gouvernance. Le Sénégal doit devenir un pays où chaque citoyen a accès à des opportunités équitables, où les institutions sont fortes et transparentes, et où le développement économique est inclusif, en prenant en compte les défis environnementaux.

Concernant le président Bassirou Diomaye Faye et son équipe, les principaux défis auxquels ils doivent faire face sont nombreux. Tout d'abord, il y a la consolidation de la démocratie dans un contexte de tensions politiques. Ensuite, l'amélioration des infrastructures de base, notamment en matière de santé et d'éducation, est essentielle pour répondre aux besoins croissants de la population. L'autre défi majeur est la lutte contre le chômage, en particulier chez les jeunes, qui nécessite des politiques économiques innovantes et un soutien accru à l'entrepreneuriat.

Enfin, la question de la sécurité, tant intérieure qu'extérieure, reste cruciale, tout comme l'adaptation du pays aux changements climatiques qui affectent les secteurs clés de l'agriculture et de la pêche. Le succès de leur mandat dépendra de leur capacité à aborder ces défis de manière proactive, avec une vision à long terme pour le bien du pays.

Vous avez mentionné l'importance de s'appuyer sur les richesses intellectuelles de la jeunesse sénégalaise, notamment dans l'entrepreneuriat et la création de startups. Quelles mesures spécifiques envisagez-vous pour encourager et soutenir l'entrepreneuriat des jeunes ?

Pour encourager et soutenir l'entrepreneuriat des jeunes au Sénégal, il est essentiel de mettre en place des mesures concrètes qui s'appuient sur les richesses intellectuelles et créatives de notre jeunesse. Voici quelques pistes d'actions spécifiques que j'envisage :

1. Accès au financement : Créer des financements dédiés aux jeunes entrepreneurs, avec des conditions d’accès et de remboursement souples et adaptées aux réalités du terrain. Il s’agirait de faciliter l'accès aux crédits, mais aussi de promouvoir des solutions de microfinance et de capital-risque pour les startups.

2. Accompagnement et mentorat : Mettre en place des programmes de mentorat, où des entrepreneurs expérimentés guideraient les jeunes porteurs de projets. Cela inclurait aussi des incubateurs et des accélérateurs de startups, offrant non seulement un accompagnement technique, mais aussi un accès à des réseaux d'affaires et à des investisseurs potentiels.

3. Réformes éducatives : Intégrer l'entrepreneuriat dans le système éducatif, dès le secondaire et jusqu'à l'université. L'objectif est de former les jeunes à l'esprit d'entreprise, en leur fournissant les compétences pratiques nécessaires, comme la gestion financière, le marketing, la communication et l'innovation technologique.

4. Facilitation administrative : Simplifier les démarches administratives pour la création d'entreprise, en réduisant les coûts et les délais d'enregistrement. Un environnement plus favorable et moins bureaucratique encouragerait davantage de jeunes à se lancer dans l’entrepreneuriat.

5. Partenariats public-privé : Favoriser les partenariats entre l'État et le secteur privé pour soutenir l'innovation et la création d'entreprises. Ces partenariats pourraient inclure des subventions, des formations, et des événements de réseautage qui relient les jeunes entrepreneurs aux grandes entreprises et aux marchés internationaux.

6. Promotion des secteurs d’avenir : Encourager les jeunes à s'investir dans des secteurs porteurs comme les technologies numériques, l'énergie renouvelable, et l'agro-industrie. Ces secteurs sont non seulement essentiels pour le développement du pays, mais ils offrent également de nombreuses opportunités de création d'emplois et de richesse.

En adoptant ces mesures, nous pourrions véritablement libérer le potentiel intellectuel et opérationnel de la jeunesse sénégalaise et créer un environnement où l'entrepreneuriat devient une véritable force motrice du développement économique et social du Sénégal. Il y a tout un gisement de matière grise à exploiter dans l’intérêt et du pays et de notre jeunesse.

La question de l'émigration est préoccupante, avec de nombreux Sénégalais qui risquent leur vie pour rejoindre l'Europe. Quelles solutions envisagez-vous pour offrir de meilleures perspectives de vie et d'emploi au Sénégal afin de limiter ce phénomène ?

L'émigration massive des jeunes Sénégalais vers l'Europe, souvent au péril de leur vie, est un problème qui reflète non seulement un manque de perspectives dans leur pays d'origine, mais aussi une perception erronée de l'avenir. Aujourd'hui, l'Occident, malgré son développement, incarne un monde vieillissant, aux opportunités limitées et aux structures saturées. De surcroît on constate dans beaucoup de pays européens une arrivée au pouvoir ou une montée en puissance de partis xénophobes, voire racistes qui entendent élever drastiquement des barrières à l’arrivée de nouveaux migrants sur le continent. Les africains, comme d’autres nations, ne sont plus aujourd’hui les bienvenus comme hier en raison de cette intolérance envers des individus qui sont différents. Nous ne sommes plus les bienvenus et les manifestations violentes auxquelles on a assisté récemment en Grande-Bretagne en sont le meilleur exemple. En revanche, l'Afrique, et le Sénégal en particulier, représentent l'avenir, un continent en pleine croissance, riche en ressources naturelles, humaines, et culturelles.

Pour inverser la tendance et offrir de meilleures perspectives de vie au Sénégal, voici quelques solutions que je propose :

1. Valoriser les richesses locales : Le Sénégal regorge de ressources naturelles et culturelles inexploitées. En investissant dans des secteurs stratégiques comme l'agriculture durable, l'industrie locale, et le tourisme, nous pouvons créer des emplois et des opportunités qui permettront aux jeunes de prospérer chez eux, sans avoir à chercher un meilleur avenir ailleurs.

2. Stimuler l'entrepreneuriat : Comme je l'ai mentionné précédemment, encourager l'entrepreneuriat des jeunes est essentiel. Le Sénégal doit devenir un terreau fertile pour les startups et les innovations, notamment dans les secteurs de la technologie, des énergies renouvelables, et de l'économie verte. En faisant du Sénégal un hub d'innovation, nous pourrions attirer non seulement les talents locaux, mais aussi des investissements internationaux. C’est à nous, et à personne d’autres, de nous donner les moyens de notre ambition, or nous disposons de jeunes très brillants qui ne demandent qu’à laisser exprimer leurs capacités.

3. Investir dans l'éducation et la formation : Offrir une éducation de qualité, alignée sur les besoins du marché du travail, est crucial. Il ne s'agit pas seulement de diplômes, mais de compétences pratiques et adaptées aux défis de demain. L'Afrique a l'opportunité de créer des leaders et des experts dans des domaines où l'Occident peine à suivre le rythme du changement. Là, où dans certains pays européens la terre est devenue stérile, notre terreau, lui, est fertile. Il nous faut semer pour espérer récolter, mais comme le dit la fable « le laboureur » de Jean De La Fontaine, c’est le travail qui manque le moins.

4. Renforcer les infrastructures : Un développement durable passe par des infrastructures solides. En investissant dans les routes, les ports, l'énergie, et les technologies de communication, nous pouvons stimuler l'économie et améliorer la qualité de vie. Cela rendra le Sénégal plus attractif pour les jeunes talents, qui préféreront rester dans un environnement où ils voient un avenir. Certains grands travaux ont été réalisés par le passé, il est inutile de le nier : autoroutes, aéroport, TER, etc. mais il reste encore des grands chantiers à ouvrir, autour desquelles la nation peut s’unir avant demain de s’en enorgueillir.

5. Changer la narration : Il est temps de redéfinir la perception que nos jeunes ont de l'Afrique. L'Europe n'est plus l'eldorado qu'elle était autrefois. L'avenir est ici, en Afrique, et il est de notre responsabilité de montrer à nos jeunes que leur potentiel peut s'épanouir sur ce continent. En valorisant les réussites africaines et en promouvant une fierté continentale, nous pouvons changer les mentalités. Face à une Europe vieilissante, déclinante, à la démographie en berne nous avons la chance d’avoir une population en expansion où la jeunesse occupe une place prédominante.

En somme, pour limiter l'émigration, il faut offrir aux Sénégalais des perspectives concrètes et ambitieuses dans leur propre pays. L'Afrique est l'avenir, et c'est ici que se trouvent les véritables opportunités. En croyant en notre potentiel et en investissant dans notre jeunesse, nous pouvons construire un Sénégal où chaque citoyen voit son avenir non pas ailleurs, mais sur sa propre terre.

Quel rôle pensez-vous que la diaspora sénégalaise, dont vous faites partie, peut jouer dans le développement du pays ? Comment comptez-vous impliquer et mobiliser les Sénégalais de l'étranger ?

La diaspora sénégalaise joue déjà un rôle crucial dans le développement du pays, notamment à travers les transferts de fonds qui soutiennent des millions de familles et participent à l'économie nationale. C’est d’ailleurs un motif de ralentissement de cette émigration car ces transferts d’argent permettent de fixer les familles sur place, qui sans cela seraient condamnées à l’exil. Cependant, le potentiel de la diaspora va bien au-delà des simples envois d'argent. En tant que membres de cette diaspora, nous pouvons apporter des compétences, des réseaux, et des expériences qui sont indispensables pour le développement du Sénégal, à travers un partenariat « gagnant-gagnant ».

Pour maximiser l'impact de la diaspora, il est essentiel de l'impliquer de manière plus structurée et stratégique. Voici quelques pistes réalistes pour y parvenir :

1. Créer des plateformes de collaboration : Il est important de mettre en place des structures où la diaspora peut interagir avec les autorités locales, les entrepreneurs, et les acteurs de la société civile au Sénégal. Cela pourrait se traduire par des forums réguliers, des réseaux professionnels, ou des partenariats public-privé où les compétences et les idées de la diaspora sont valorisées.

2. Faciliter l'investissement : La diaspora est souvent confrontée à des obstacles administratifs et financiers lorsqu'il s'agit d'investir au Sénégal. Il est crucial de simplifier ces procédures et de créer des incitations fiscales pour encourager les investissements productifs dans des secteurs clés, comme l'immobilier, l'agriculture, les technologies, et les services. Je suis moi-même le témoin vivant de ces blocages à travers un projet entrepreneurial au Sénégal dans lequel je suis investi. L’administration doit changer de braquet et être plus un facilitateur qui encourage les initiatives qu’un interlocuteur tatillon et frileux qui décourage, voire bloque des projets inspirants.

3. Encourager le transfert de compétences : De nombreux Sénégalais de la diaspora possèdent des compétences précieuses dans divers domaines, qu'ils peuvent partager avec leurs compatriotes au Sénégal. La mise en place de programmes de mentorat, de formations professionnelles, et d'échanges de savoir-faire permettrait de renforcer les capacités locales tout en favorisant un lien plus étroit entre la diaspora et le pays.

4. Mobiliser la diaspora pour des projets communautaires : La diaspora peut jouer un rôle essentiel dans le développement des communautés locales en finançant des projets d'infrastructures, de santé, et d'éducation. Il est possible de structurer ces contributions à travers des associations ou des fondations qui s'assurent que les fonds sont utilisés de manière efficace et transparente.

5. Impliquer la diaspora dans la gouvernance : Il est également crucial de donner à la diaspora une voix dans les décisions politiques et économiques qui concernent le Sénégal. Cela pourrait se traduire par une meilleure représentation dans les instances gouvernementales ou par la création de conseils consultatifs composés de membres de la diaspora.

En résumé, la diaspora sénégalaise a un rôle clé à jouer dans le développement du pays, mais cela nécessite une véritable volonté de la part des autorités de la mobiliser et de l'impliquer de manière concrète. En créant un environnement favorable à l'investissement, en facilitant le transfert de compétences, et en intégrant la diaspora dans les processus décisionnels, nous pouvons transformer cet immense potentiel en un véritable levier de développement pour le Sénégal. La diaspora doit être un levier sur lequel les forces vives de la nation doivent pouvoir s’appuyer afin de se projeter plus avant.

Vous avez une carrière professionnelle réussie en France. Qu'est-ce qui vous a motivé à vous engager en politique au Sénégal et en quoi votre expérience vous prépare-t-elle à relever ce défi ?

Ce qui m'a poussé à m'engager en politique au Sénégal, c'est avant tout un profond attachement à mon pays d'origine. Bien que ma carrière en France m'ait offert de nombreuses opportunités et une certaine réussite, j'ai toujours ressenti un lien indéfectible avec le Sénégal et une responsabilité envers mes compatriotes. Mon engagement politique découle de cette volonté de contribuer, à mon humble niveau, au développement de notre pays. C’est pour moi une question de devoir, et j’emploierai les mots de John Kennedy qui disait « Ne te demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, mais ce que tu peux faire pour ton pays ». Nous les sénégalais de la diaspora nous avons un devoir d’exemple, celui de réimporter chez nous l’acquis que nous avons trouvé ailleurs afin de lui faire gagner du temps et lui faire profiter de notre expérience.

En ce qui concerne la mienne, je la vois comme un atout parmi d'autres. Travailler à l'étranger m'a permis d'acquérir des compétences, d'élargir ma vision du monde, développer une ouverture d’esprit et mieux comprendre les défis globaux auxquels nous faisons face. Cependant, je suis pleinement conscient que la politique est un domaine complexe, où l'écoute, la collaboration, et la compréhension des réalités locales sont essentielles. Mon parcours ne me donne pas toutes les réponses, mais il m'a appris l'importance de l'humilité et de l'adaptabilité. Je suis ici pour apprendre autant que pour apporter, et c'est avec cet état d'esprit que je souhaite relever ce défi.

Une fois n’est pas coutume mais je citerai Lénine, qui à la veille de la révolution d’octobre 1917, disait « Là, où il y a une volonté, il y a un chemin ». C’est cette volonté qui a permis aux bolchevicks de mettre en déroute le régime tsariste. Toute comparaison ne vaut pas raison, mais ayons de l’énergie et créons-nous un chemin vers le développement, donc un avenir du Sénégal.

Entretien : Malick Sakho

Diasporaactu

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