D’aucuns diront qu’il s’agit du cours d’eau à traverser en plein hivernage, quoiqu’il en soit la décision de recenser la diaspora sénégalaise avant le 31 décembre prochain, ordonnée par le Président Macky Sall en conseil des ministres du 19 aout, est le signe d’une ambition réelle et d’un pragmatisme raisonné ! Car comment peut-on prétendre aujourd’hui mieux mobiliser une diaspora si l’on ne maitrise pas les données de connaissance les plus élémentaires la concernant : sa taille et sa répartition spatiale ?
La connaissance : maillon faible dans la mobilisation des diasporas
Il n’en demeure pas moins que les défis opérationnels qui se dressent sur l’action sénégalaise sont de taille d’autant plus que le laps de temps assigné est court. En effet, rares, très rares mêmes sont les pays au monde à pouvoir aujourd’hui se reposer sur une évaluation quantitative précise et scientifique de la taille de leur diaspora. Une démarche statistique et un résultat d’autant plus délicat à atteindre que la population diasporique étudiée est ancienne, hétéroclite et informelle. Et à ce titre, un terrain miné qu’aucun pays africain n’a osé entreprendre à ce jour en dehors de quelques petites velléités à l’heure de processus électoraux. Si bien qu’il est regrettable que la plupart des données officielles en Afrique relatives aux tailles des diasporas ne sont aujourd’hui en majorité que des estimations plus ou moins construites présentant des marges d’erreur pouvant être importantes. En réalité, seuls les pays d’Afrique du Nord (Maroc, Tunisie, Egypte…) sont en mesure de présenter des chiffres publics relativement précis (sans être exhaustifs !) issus principalement des données consulaires. Il faut dire que ces pays ont pris le parti historique de rendre obligatoire l’immatriculation consulaire et cette formalité étant même nécessaire pour bénéficier de privilèges exclusifs réservés à la diaspora : importation d’un véhicule en franchise douanière en Tunisie ; placements en devises rémunérés au Maroc et Egypte…
Les consulats en Afrique sont par défaut les maillons essentiels du recensement des diasporas ce qui n’est pas sans poser des contraintes certaines vu l’indisposition des moyens alloués et surtout les relations de défiance voire conflictuelles que ces institutions peuvent entretenir avec une partie de la diaspora. Par ailleurs, il est utile de rappeler que beaucoup au sein des diasporas ne voient aucuns intérêts ni avantages à s’immatriculer dans un consulat. Et ce serait même une démarche perçue comme risquée particulièrement pour les nombreux « sans-papiers » et pour la plupart de ceux issus de pays autocrates. En conséquence, on estime de 20 à 70% seulement et suivant les pays (meilleurs scores sont pour les pays d’Afrique du nord), la part des individus de la diaspora à être immatriculés dans un consulat et donc comptabilisés dans les statistiques publiques ! Et pour tous, les mêmes profils « manquants à l’appel » issus de ces quatre groupes critiques car particulièrement délicats à circonscrire : migrants installés en zone africaine et/ou travailleurs frontaliers ; descendants de migrants dans les pays historiques ; enfants de couples mixtes ; « sans-papiers »… Une limite de taille considérant le poids démographique de ces populations qui constituent le socle même des diasporas africaines et pouvant représenter jusqu’à 80% de la diaspora totale selon les pays !
Croiser les sources et bonifier sa communication vers la diaspora
Certes, le Sénégal est l’un des rares pays africains à pouvoir capitaliser sur des relations relativement apaisées et constantes avec sa diaspora. Aussi, en complément des données consulaires, son recensement de la diaspora peut être enrichi des remontées statistiques émanant des associations diasporiques et confréries religieuses qui constituent un maillage solide dans les pays de la diaspora. Mais pour être abouti et continuellement fiable à la décision publique, ce premier travail devra être itératif et durable, servi par une communication positive visant à engager la diaspora en toute confiance et… anticiper le ressenti collectif potentiellement rédhibitoire du « trackage » et « fliquage » par les autorités.
Pour l’avenir, le progrès au service de cette connaissance structurée des diasporas passe indéniablement par la synergie des réseaux (physiques et digitaux) et des données. Cette stratégie par « tous moyens » (consulats, associations, inscriptions volontaires via internet, exploitation des données publiques comme les entrées aux frontières, extrapolations statistiques…) se justifie par la complexité croissante des populations diasporiques (par générations, pays de résidence, catégorie sociale, ethnie…) et l’émergence des « néo-diasporas » qui tendent à devenir majoritaires au sein des diasporas africaines.
Enfin et surtout, l’initiative sénégalaise et de tous ceux qui seraient enclins à suivre, doit être l’occasion privilégiée de renouer avec une partie de la diaspora et promouvoir une citoyenneté active chez ces majorités invisibles (jeunes, enfants de parents mixtes…). A l’instar du programme public « Lebanity » qui appelle la diaspora libanaise à se faire connaitre et déclarer son engagement pour le pays, facilité par la promesse d’avantages et privilèges exclusifs… Plus qu’une condition, c’est là le principal gage de réussite !