Le budget a triplé en sept ans rien que pour la présidence et le gouvernement. Un bilan en demi-teinte pour le président sortant.
Par Salma Niasse Ba Publié hier à 18h53, mis à jour hier à 20h51
Temps de Lecture 5 min.
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Le budget a triplé en sept ans rien que pour la présidence et le gouvernement. Un bilan en demi-teinte pour le président sortant.
Le président sortant Macky Sall en campagne pour le scrutin du 24 février, à Guédiawaye, dans la banlieue de Dakar, le 20 février 2019.
Le président sortant Macky Sall en campagne pour le scrutin du 24 février, à Guédiawaye, dans la banlieue de Dakar, le
En visite au Sénégal en mars 2018, le président turc Recep Erdogan n’a pu cacher sa surprise en serrant les mains des ministres sénégalais, tous venus l’accueillir à l’aéroport. « Vous avez beaucoup d’enfants ! », lance-t-il au président Macky Sall, qui vient de lui avouer, non sans-gêne, le nombre de membres du gouvernement. Trente-neuf au total ! Et c’est sans compter le ministre du suivi du Plan Sénégal Emergent (PSE), les trois ministres sans portefeuille et… les trente-neuf ministres conseillers. En refaisant donc les calculs, pas moins de quatre-vingt-deux ministres pour une population d’un peu plus de quinze millions d’habitants !
Pourtant, le mandat du chef de l’Etat avait débuté plus modestement en 2012. Vingt-cinq ministres. Comme promis dans son programme électoral. Mais la bonne gouvernance n’aura duré que six mois.
Plus de 1 400 000 000 000 francs CFA ont été votés en décembre 2018 pour la loi des finances 2019. Et ce, rien que pour la présidence, la primature et les trente-cinq ministères – les quatre autres étant des ministres délégués. Ce budget a triplé en sept ans, preuve de l’oubli de la promesse électorale. « Abdoulaye Wade avait multiplié les agences de développement budgétivores. Macky Sall, lui, le nombre de ministres et de fonds secrets, qu’on appelle communément caisse noire », regrette Jacques Habib Sy, président de l’ONG Aid Transparency.
Des magistrats sous pression
Dans son programme Yoonu Yokkute (« la voix du progrès » en wolof) que Macky Sall présentait aux Sénégalais en 2011, celui qui n’était alors que candidat accordait aussi une place de choix à l’indépendance de la justice. « Mis sous tutelle du pouvoir exécutif, instrumentalisé par ce dernier et insuffisamment doté en ressources humaines et matérielles, le pouvoir judiciaire n’est pas toujours en mesure d’assurer pleinement ses missions avec impartialité et indépendance », pouvait-on lire dans le document de campagne de 2012 où le chef de l’Etat s’engageait à « renforcer l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par sa composition, son organisation et par son fonctionnement ».
Sept ans plus tard, le ministre de la justice, Ismaïla Madior, a signé ce 19 février, en émettant des réserves, le mémorandum pour l’indépendance de la justice présenté par la Plateforme de la société civile pour l’indépendance de la justice (Pacij). Tous les autres candidats à la présidentielle, eux, avaient sans réserve signé ce texte proposant de supprimer la présence de l’exécutif et du ministre de la justice au sein du CSM. Le garde des sceaux a, lui, suggéré un recul mesuré du président, mais pas un retrait.
Cette réorganisation du Conseil supérieur de la magistrature n’est pas le seul dossier en attente. Les réformes judiciaires, proposées par l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) en 2017, tarde aussi à être effectives. « Les magistrats, quand ils jugent, même s’ils sont indépendants, subissent une pression telle que certains peuvent prendre des décisions qui plairaient à l’exécutif. Pour mettre fin à tout cela, il faut une réforme de la justice », expliquait le président de l’UMS, dans les colonnes de Sud Quotidien, le 7 janvier.
Accusé d’avoir créé une justice sélective
Selon le journaliste judiciaire Pape Ndiaye, c’est la justice sénégalaise dans son ensemble qui a connu un recul sous le premier mandat de Macky Sall. « La Constitution a été tripatouillée plus de dix fois, une tradition qui date de Senghor et dont Abdoulaye Wade a aussi largement usé, avec quinze révisions au total. Côté loi électorale, on ne compte pas moins de dix-huit modifications. Et enfin, il y a eu vingt-cinq plaintes contre le Sénégal devant les juridictions internationales », précise-t-il. La majorité d’entre elles concernent l’affaire Karim Wade, le fils de l’ancien chef de l’Etat.
Macky Sall est d’abord accusé d’avoir créé une justice sélective, qui écarterait ses adversaires politiques. Les cas de Karim Wade et de l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, condamnés pour détournement de deniers publics, sont emblématiques de cette critique. Lors de son arrestation en mars 2017, Moustapha Diakhaté, alors président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, la coalition au pouvoir, déclarait dans un entretien au média en ligne Seneplus que « toute gestion épinglée par l’IGE [Inspection générale de L’Etat] sera traitée par les canaux prévus par la République (…). Même pour les rapports de l’Ofnac [Office national de lutte contre la fraude et la corruption]. Toutes les personnes qui ont été incriminées seront entendues et s’il doit y avoir des sanctions, elles seront sanctionnées ».
L’opposition réclame l’application de cette mesure, notamment pour l’affaire du directeur du Centre des œuvres universitaires de Dakar (COUD). En effet, dans le rapport de l’Ofnac de 2014-2015, le responsable du COUD et responsable APR (Alliance pour la République) à Ndioum, Cheikh Oumar Hanne, est accusé de « détournement de deniers publics » et exerce toujours ses fonctions. Le groupe La Poste est aussi cité dans ce même « rapport d’enquête qui a été transmis à l’autorité judiciaire pour que les poursuites soient engagées ». La création de l’Ofnac, en 2012, à l’initiative du président Macky Sall, pour répondre à la forte demande de transparence, avait pourtant été saluée comme une belle avancée.
Pour une refonte des institutions
Reste que ce tableau du monde judiciaire cache des progrès notoires, comme la révolution de plusieurs codes de droit. Ainsi, le chroniqueur judiciaire constate que 97 lois ont été votées entre 2012 et 2019 pour réformer les codes pénal, forestier, minier et celui de la justice militaire. S’y ajoutent la réforme de la magistrature et l’installation du tribunal de commerce en 2018 pour un règlement des conflits par la médiation. D’autre part, l’avènement des tribunaux d’instance et de grande instance, mais également l’institution des chambres criminelles en lieu et place des cours d’assises, a redessiné le paysage, comme la réforme sur le code de procédure pénale qui répond désormais à la vieille revendication des avocats d’assister leur client dès interpellation.
Une justice aux ordres pour certains, un législatif docile pour d’autres. « Sous Wade, il y avait des débats houleux à l’Assemblée, sous Macky, elle exécute », déplore Mame Less Camara, journaliste, pour qui « sous ce régime, il y a eu un recul systématique de chacun des trois corps de la démocratie, à savoir l’exécutif, le législatif et le judiciaire ».
Souvent donnée en exemple en Afrique, la démocratie sénégalaise serait-elle en danger ? « Ce pays n’a rien d’une exception démocratique. C’est une fausse impression des gens de passage », estime Jacques Habib Sy, d’Aid Transparency. Pour autant, le régime de Macky Sall ne serait pas une exception et les problèmes seraient plus structurels, liés aux institutions, qui ressemblent à celles qu’avait la France sous la IVe République. Des assises ont d’ailleurs été organisées pour une refonte des institutions, sans avoir donné pour l’heure de résultat.
Salma Niass Ba