Bénéficiant, pour la plupart, d’allocations de la part de leur Etat d’accueil, nombre de Sénégalais établis en Europe et en Amérique du Nord s’interrogent sur la pertinence des 12,5 milliards de F CFA dédiés à la diaspora, dans le cadre du fonds Force-Covid-19. Pour eux, seules quelques catégories, dont les étudiants et ceux qui travaillent dans l’informel, sont susceptibles d’être dans le besoin et ils ne sont pas aussi nombreux.
La distribution d’une dizaine de milliards de francs CFA aux Sénégalais de la diaspora, ne fait pas l’unanimité. Ils sont nombreux, les compatriotes établis à l’étranger, à estimer que cette manne financière importante aurait pu servir dans d’autres domaines, dont la santé qui éprouve d’énormes difficultés. Résident en Espagne, Moustapha Tandiné témoigne : ‘’Je suis de ceux qui ont proposé au gouvernement d’investir cet argent dans le système sanitaire. Comme l’argent nous était destiné, on aurait pu l’utiliser pour construire, en notre nom, un grand hôpital au Sénégal. Je pense que c’était bien plus efficace que de donner quelques euros ou quelques dollars à des gens qui n’en ont pas grand besoin.’’
Pour étayer un tel propos, certains émigrés avaient vite fait de prendre leur calculette, diviser le montant total de l’aide par le nombre de Sénégalais établis à l’étranger, pour se retrouver avec des chiffres les uns plus insignifiants que les autres.
Etabli en Italie, Abdou Thiam, lui, était convaincu que le montant était fixé à 18 euros par émigré. Même s’il ne s’est pas inscrit sur la plateforme, il confie que c’est un Sénégalais inscrit sur les listes qui lui a donné cette information. Interpellée, sa source se réfugie, à son tour, sur les ouïe-dire, avant de préciser : ‘’En fait, moi, je suis inscrit et on m’a donné un numéro. Depuis lors, j’attends, mais je n’ai encore aucune information précise. Je ne sais même pas que faire pour recevoir l’aide. J’ai juste entendu des compatriotes parler de 18 euros et j’avais commencé à regretter de m’y être inscrit.’’
En vérité, les montants varient en fonction des victimes et dépassent largement la dizaine d’euros annoncée. Mamadou Aliou Sy est étudiant en France. Il fait partie des premiers bénéficiaires de cette aide à la diaspora. Il témoigne : ‘’J’ai pu avoir 200 euros, grâce à cette aide. J’avoue que cela m’a été d’un grand apport. Il faut donc relativiser. L’aide est utile à certains comme les étudiants qui avaient des emplois précaires et qui se retrouvent sans revenu et sans aucune allocation. Mais elle l’est moins pour d’autres catégories dont les travailleurs qui, malgré la pandémie, reçoivent des allocations de la part de leur Etat d’accueil, parfois tout leur salaire.’’
Pour lui, tous les étudiants devraient bénéficier de cette aide. Mais il y a une grosse équation autour de ses camarades qui sont dans le privé et qui ne parviennent pas encore à rentrer dans leurs fonds. Ont-ils été ignorés par le mécanisme ? Il déclare : ‘’Nous ne savons pas s’ils sont pris en compte ou non. En tout cas, je vois des gens qui sont dans le public et qui ont reçu leur part. Mais pour ceux qui sont dans le privé, je n’en ai vu aucun. Nous souhaiterions avoir des éclairages à ce niveau.’’ Quant aux données à fournir pour s’inscrire en ligne, il mentionne : trois relevés de compte (février, mars et avril), le relevé d’identité bancaire, le certificat d’inscription, entre autres. ‘’Tout, selon lui, a été transparent. J’ai postulé dans le site ; on m’a, par la suite, notifié que mon inscription a été validée et enfin j’ai reçu le virement de 200 euros. La seule chose sur laquelle nous n’avons pas d’informations claires, c’est à propos de nos camarades étudiants dans le privé.’’
Profil des bénéficiaires
Si, en France, les choses s’accélèrent, ce n’est pas le cas dans tous les pays. Membre du comité de pilotage établi par l’ambassade du Sénégal en Espagne, le député Mor Kane informe : ‘’Pour ce qui concerne l’Espagne que je maitrise, les travaux de recensement sont toujours en cours. Pour le moment, on ne sait donc pas encore les montants qui seront donnés à chaque bénéficiaire. Ne connaissant pas le nombre total d’attributaires, on ne peut encore savoir les montants qui leur seront alloués.’’
En attendant le gros lot, le député de la diaspora tient à préciser que, sur les 12,5 milliards qui étaient dégagés, 1 milliard a été soustrait pour soulager, en priorité, les familles des Sénégalais décédés, ceux qui ont été bloqués à l’étranger et les malades de Covid-19. Ils auront respectivement 2 000 et 500 euros pour les deux autres, selon le parlementaire. Dans la répartition de cette première enveloppe, souligne-t-il, 30 millions de F CFA ont été dégagés pour l’Espagne, 65 millions pour l’Italie, 8 millions pour le Portugal, pour ne citer que ces pays.
En Amérique du Nord, la réalité semble tout autre. Dans cette partie du globe, particulièrement aux Etats-Unis et au Canada, l’aide est sérieusement remise en cause. ‘’Honnêtement, nous n’en avons pas besoin. La plupart, pour ne pas dire tous les émigrés régulièrement établis aux Etats-Unis, bénéficient d’une aide de l’Etat. Je ne sais pas pour les autres pays, mais ici on peut s’en passer’’, indique Babacar. Idem pour le Canada où le promoteur de la plateforme Gena Covid-19, Bassirou Bèye, renseigne que presque tout le monde bénéficie de l’aide de l’Etat fédéral. Un point de vue également partagé par M. Tandiné.
Selon lui, c’est la position de plusieurs ressortissants sénégalais en Espagne. ‘’Seuls 20 % des émigrés, insiste-t-il, en auront peut-être besoin. Par exemple, ici en Espagne et en Italie, il y a ceux qui travaillent dans l’informel. En France, par contre, il y a surtout les étudiants. S’il doit y avoir de l’aide, seules ces catégories doivent en profiter, parce que les autres continuent de recevoir leurs salaires ou des appuis de l’Etat’’.
Revenant sur la question du ciblage des bénéficiaires, Mor Kane souligne qu’il revient à chaque représentation diplomatique de mettre en place une commission présidée par l’ambassadeur ; et dans laquelle siégeront les représentants consulaires, les députés de la diaspora, ainsi qu’une personne ressource issue d’une grande association ou d’un ‘’dahira’’. ‘’Les personnes concernées sont effectivement les commerçants qui sont dans l’informel, les étudiants non boursiers, les sans-papiers et les retraités qui ne sont pas pris en charge’’, assure le parlementaire membre de la commission en Espagne.
En Italie, la constitution de ladite commission n’a cependant pas été de tout repos. Pays très vaste et largement impacté, il était difficile, selon Mamadou Dièye, de trouver une personne ressource consensuelle qui puisse représenter tous les émigrés. L’autre pomme de discorde, relève-t-il, c’est l’exigence d’une carte consulaire dans le dossier de candidature. Généralement, ce sont les compatriotes en situation irrégulière qui en disposent. Quatre-vingt pour cent des Sénégalais ne l’ont pas. On risque ainsi d’exclure du processus l’écrasante majorité des Sénégalais. Sur la question de la pertinence, ‘’l’Italien’’ a un point de vue mitigé. ‘’Certes, il y en a qui en ont besoin. D’ailleurs, au niveau de notre ‘dahira’, nous avions dégagé 4 000 euros pour soutenir nos compatriotes dans le besoin. Mais si c’est pour leur donner des miettes, ce n’est pas la peine. Aussi, il faut savoir que ceux qui en ont véritablement besoin ne sont pas aussi nombreux’’, affirme-t-il.
En quête de la bonne information
Par ailleurs, en ces temps de confinement, l’un des défis majeurs des autorités réside dans la communication des bonnes informations aux communautés sénégalaises. Coupés de leurs représentations diplomatiques, certains ont toutes les peines du monde à disposer de la bonne information. ‘’Il y a vraiment des efforts à faire dans toutes les ambassades à ce niveau. Actuellement, si tu n’es pas dans une association ou un ‘dahira’, tu ne disposes d’aucune information. La plupart des représentants diplomatiques n’ont même pas les adresses des ressortissants sénégalais établis sur leur territoire. Aussi, avec le réaménagement des heures de travail, les téléphones des ambassades sonnent souvent dans le vide et il n’est pas possible de se déplacer’’, plaide Aminata Diagne, membre de la plateforme Gena Covid-19, établie au Canada. A l’en croire, certains se sont engouffrés dans cette brèche pour accomplir leurs forfaits en envoyant, par exemple, des liens frauduleux aux Sénégalais pour leur soutirer des données personnelles.
Selon les chiffres de vendredi dernier, rapporte Mor Kane, le pays qui comptait le plus nombre de demandeurs était la France. Ensuite, venaient dans l’ordre le Maroc, l’Espagne, l’Italie, le Gabon et la Gambie. A ce jour, pour ce qui est de l’Espagne, seuls deux Sénégalais décédés de Covid-19 ont été recensés. Il s’agit d’Aita Ndoye et d’Abdoul Aziz Seck. Pour ce qui est des malades, huit ont été dénombrés dans le même pays.
Nous avons essayé par tous les moyens d’entrer en contact avec les services d’Amadou Ba, mais en vain.