« Ma cousine est morte fin janvier à cause de comprimés et de sirops pour grossir. Elle en a pris pendant des mois pour préparer l’arrivée de son mari, qui revenait d’Italie. Après son décès, le médecin nous a expliqué qu’elle était devenue diabétique à cause de ces produits », confie Mariama* d’une voix étranglée. Installée à Pikine, une banlieue populaire de Dakar, la jeune femme se souvient du visage gonflé de sa parente après une vingtaine de jours de « traitement ». « Je prenais aussi ces comprimés, dit-elle. Nous savions qu’il existait des dangers, mais nous voulions grossir coûte que coûte. »
Au Sénégal, ces pilules, sirops, huiles, crèmes et suppositoires censés faire prendre du poids sont devenus un véritable problème de santé publique. Une mode dangereuse qui s’est répandue dans d’autres pays de la région comme la Côte d’Ivoire, le Nigeria ou le Mali, portée par l’essor du commerce en ligne. Les professionnels de santé sont de plus en plus nombreux à appeler à une régulation de la commercialisation de ces produits.
Pour s’en procurer dans le quartier Sandaga, à Dakar, il suffit de pousser la porte d’une petite boutique aux murs mouchetés de paillettes roses. Sur les présentoirs, des produits de défrisage et de dépigmentation de la peau côtoient des soins hydratants et des vernis colorés. Les crèmes pour grossir, elles, sont stockées dans la réserve. Dépourvu de notice mais venant de Chine, à en croire les indications figurant sur l’emballage, le petit tube coûte 10 000 francs CFA (15 euros). « C’est très efficace », promet le vendeur, assurant que « les hommes préfèrent les femmes avec de grosses fesses ».
« Aucun produit miracle n’existe »
Signe d’opulence et de beauté, les rondeurs sont un marché porteur. Les publicités vantant les bénéfices de ces cosmétiques pour grossir pullulent en ligne. Jusqu’à figurer en préambule d’épisodes de séries à succès comme Infidèles, qui font des millions de vues sur YouTube. Une consommation inoffensive ? « Je ne vends pas de produits dangereux, on ne m’a pas signalé d’effets secondaires graves. Cela fait seulement grossir les fesses et les hanches », affirme une vendeuse de la page « Cosmétique 100 % thaïlandais », qui propose des « comprimés naturels » à prendre matin et soir, vendus entre 5 000 et 7 000 francs CFA.
La gamme des « soins » est vaste. Certains produits sont même disponibles en pharmacie sans ordonnance, comme le sirop Nuravit. Cet antihistaminique qui stimule l’appétit peut être utilisé pour la prise en charge de l’anorexie et de la malnutrition grave. Seulement, des contrefaçons sont également vendues dans les marchés ou sur Internet. Adji Thiam, elle, « préfère le fenugrec [une plante locale] mélangé à de l’huile », qu’elle masse sur les parties de son corps qu’elle veut « augmenter ».
Des pratiques aussi diverses qu’absurdes, selon Binetou Cheikh Seck, diététicienne à Dakar. « Il est scientifiquement impossible de grossir des fesses et des hanches sans augmenter le reste du corps, ni de stimuler une création de graisse localement grâce à une crème. Au mieux, c’est un effet placebo. Aucun produit miracle n’existe », avertit l’experte, qui alerte sur les effets secondaires : « Les stimulants d’appétit dérèglent le métabolisme des femmes, qui ne vont pas réussir à arrêter de grossir. »
Les risques sont nombreux sur le long terme : somnolence, fatigue, muqueuses abîmées, problèmes cardiovasculaires, insuffisance hépatique, obésité, diabète, hypertension artérielle… « Un produit pharmaceutique n’est jamais sans danger, surtout s’il n’est pas utilisé avec les bons dosages. En consommer d’une manière abusive ou avec un mauvais usage peut engendrer de graves conséquences pour la santé », prévient Ibn Ndiol Fouta, pharmacien qui fait de la prévention contre ces produits sur les réseaux sociaux. Lui recommande d’acheter les produits dans les pharmacies formelles après avoir consulté un médecin.
« Le résultat est une catastrophe »
Les effets secondaires, Mimouna en a fait les frais. « Il y a cinq ans, l’image “avant-après” d’une pommade m’avait convaincue », explique la femme de 31 ans, qui complexait d’avoir des petits seins et peu de hanches. « A force de critiques, je n’osais même pas me mettre en bikini. J’avais envie d’être comme les filles rondes et de plaire aux garçons qui détestent les maigrichonnes. » Elle a donc acheté une première crème à 3 000 francs CFA, avant d’en utiliser sept pots. « J’en mettais tous les jours. Je me regardais tout le temps dans le miroir, c’était devenu une obsession, mais je ne grossissais pas. Au contraire, ma peau a changé de couleur et des vergetures sont apparues… Alors j’ai arrêté, de peur que ça empire. »
Nanou Cissé, enseignante de 33 ans, s’est elle aussi badigeonnée d’une pommade achetée au marché pendant plusieurs mois. « J’ai continué de l’utiliser alors que mes hanches et mes seins me grattaient, que des petits boutons saignaient et que des vergetures rougeâtres étaient apparues. Je ne pouvais même plus mettre de pantalon tellement cela me faisait mal ! », témoigne cette mère de deux enfants : « Le résultat est une catastrophe. Près de deux ans plus tard, cela me gratte encore quand je porte des vêtements serrés ou quand il fait chaud. »
Pour la psychologue et militante féministe Aminata Mbengue, ces pratiques sont « équivalentes à de la chirurgie esthétique, mais pour les femmes pauvres ». « Cette prise de risque est le symbole des injonctions faites aux femmes d’être mariées, un marché compétitif où la concurrence est rude, notamment dans les couples polygames », conclut-elle, pointant du doigt « l’énorme pression sociale pour respecter les critères subjectifs de beauté déterminés par les hommes ».