En attendant que le voile se lève sur les circonstances exactes de la mort d’Idriss Déby, une chose est au moins sûre. Le défunt «Maréchal du Tchad» (sic) est allé jusqu’au bout de sa légende: périr au champs de bataille, à la tête de ses troupes. En évitant donc le sort funeste tant redouté des guerriers, tel que le conjure Baaba Maal dans « Dogata», littéralement « Celui qui ne fuit pas», ode à la bravoure des guerriers peuls, une de ses plus belles compositions : « mourir dans son lit au milieu du concert de pleurs des vieilles femmes et des enfants ». Que ce soit quand il conquérait N’Djamena au profit de Hissène Habré en 1982 ou lorsqu’il l’en chassait en 1990 au terme d’un rezzou venu du Darfour, Idriss Déby a toujours eu un destin de trompe-la-mort.
Et pendant les 31 années de son règne où il alternait le meilleur(Zorro du Sahel) et le pire (féroce répression de ses opposants), « IDI » a eu une baraka légendaire qui lui a permis de s’en tirer souvent in extremis. Y compris lorsque des rebelles ont été à deux cent mètres de son palais, les soldats français stoppant net les colonnes infernales venues le déloger. Extrêmement courageux, orgueilleux et ombrageux, il a toujours écarté dédaigneusement les propositions de l’armée française de l’exfiltrer, même dans les situations les plus carabinées. Des traits de caractère qu’il partageait avec un autre ancien chef de guerre: João Bernardo «Nino» Viera. L’ancien président bissau-guinéen a forgé sa réputation dans le maquis aux côtés d’Amilcar Cabral. Ce Pepel, qui ne reculait devant aucun danger s’est tellement distingué au combat par sa férocité que les soldats Balantes, qui constituaient le gros des troupes combattantes pendant la sanglante guerre de libération contre le colon portugais, l’ont adopté comme l’un des leurs.
L’affublant au passage d’un surnom valeureux dans leur culture: « la hyène intrépide ». Même si dans la conduite de certaines opérations, me confiera à Bissau l’un des derniers vétérans de la guerre, l’état-major du Paigc avait souvent préféré recourir aux services du commandant Umaro Djalo, nommé patron de l’armée à la Libération, réputé plus soucieux de la vie de ses soldats dans ses engagements. Mais toujours est-il que dans cette bataille de leadership qui opposera les deux grands stratèges du maquis, c’est Nino qui emportera la mise après avoir orchestré le coup d’Etat contre Luis Cabral qui l’installera au pouvoir pour une longue durée. Après bien des péripéties jalonnées par une guerre civile et un retour au pouvoir, Nino Vieira connaîtra une fin atroce: des soldats proches de son chef d’Etat-major Batista Tagme Na Way, devenu son ennemi mortel, allaient le découper à la machette, sous les yeux de son épouse, quelques heures seulement après la mort dans un attentat de ce dernier. Pourtant, quand ses services l’ont prévenu qu’un commando venait de Mansoa pour l’exécuter, Vieira n’avait pas jugé utile de fuir, disant qu’il n’avait rien à voir avec la mort de Tagme. Les anciens maquisards Nino et Déby, qui n’étaient pas des tendres avec leurs adversaires, ont régné par le glaive. Ils ont été avant tout victimes de leur témérité et de leur fol appétit du pouvoir. Jusqu’à ce que le destin, implacable, les rattrape.
Par Barka Ba, Journaliste/Chercheur en sciences politiques