Seydina Fall Boughazelli, 50 ans, député de l’Alliance pour la République, pourfendeur d’Aliou Sall en 2015 et auteur de la proposition de loi sur le rétablissement de la peine de mort, s’est peut-être vu trop beau. Jeudi, le personnage a dégonflé entre les mains de la Section de recherches de la gendarmerie, qui le suspecte dans une affaire de trafic de faux-billets. L’Obs l’avait rencontré en 2015.
Il n’est pas facile de jouer les farouches entre les mains de la célèbre Section de recherches de la gendarmerie. Avocat intraitable du Président Macky Sall, aussi bien à l’Assemblée nationale que dans les médias, Seydina Fall «Boughazelli» a perdu, jeudi, de sa fougue. Certains diront de sa logique, à la lecture des arguments qu’il a avancés pour se dépêtrer de cette affaire de trafic de faux billets qui lui colle à la peau. Il est bien loin le temps où le député, emmailloté dans son manteau de vertueux, plaidait le rétablissement de la peine de mort.
«Moi bateleur». Le problème de Seydina Fall Boughazelli, c’est qu’il est vraiment «prétentieux». Il se donne des pouvoirs loin de son aura de député querelleur, bateleur sans réel prisme sur la Real-politik locale. Mais ça lui réussit bien jusque-là. Le public sénégalais l’a découvert il y a peu sur les plateaux télés vantant sans nuance le rétablissement de la peine de mort. Alors que Dakar était plongé dans une course macabre de crimes qui ont choqué l’opinion. C’est lui également qui aurait essuyé un coup de poing de Aïda Mbodj lors de la bagarre rangée entre députés de l’opposition et ceux de la Majorité. Lui préfère en rire et se moquer du «mensonge» de sa sœur. Mais il faut le voir pour croire que l’homme n’est pas du genre à en prendre une sur la gueule sans être réactif. Cet enfant de la banlieue ne fait jamais les choses dans la demi-mesure. C’est un excessif qui s’ignore. Au moment où le peuple de Macky Sall cadenasse sa vie comme un coffre-fort d’une grande banque, lui, Seydina Fall, fait de sa maison un resto du cœur à l’antienne locale. Il ouvre sa maison aux parents de malades qui laissent leurs ordonnances et leurs frais d’hôpitaux au député. Il fanfaronne quand il évoque le sujet dans un discours proche de celui d’un prêcheur du dimanche.
«Moi bras armé de Cheikh Kanté». Mais Seydina Fall est un militaire qui porte la tenue, c’est un combattant acharné, un fieffé thuriféraire assumé du directeur du Port de Dakar, Cheikh Kanté, et de Moustapha Diop, le ministre de la micro-finance. A l’Assemblée nationale, tous les députés vous le diront, pour ne pas subir les coups de gueule de Seydina Fall, il ne faut surtout pas toucher au Directeur du Port. Dans le salon de son domicile, un portrait géant de Cheikh Kanté vampirise le décor. A côté, trône un autre portrait, du ministre Moustapha Diop. «Ce sont mes amis et je l’assume», répète-t-il à l’envi. Dans le Sénégal des ragots et des chuchotis, l’on a vite fait d’assimiler cette proximité intéressée de Seydina Fall a du mercenariat politique monnayé à coups d’espèces sonnantes et trébuchantes. Sinon personne ne comprend à Guédiawaye la propension du monsieur à freiner des quatre fers toutes velléités d’attaques contre Cheikh Kanté et le ministre Moustapha Diop. «Ils ne m’ont jamais remis une somme d’un million de FCfa», dit-il. Lui convoque les gestes de haute portée humaniste de ses deux amis. Comme cette responsable de l’Apr qui a perdu son enfant lors d’un meeting de Macky Sall, dont l’état de santé nécessitait une évacuation aux Etats-Unis et qui a été pris en charge entièrement par le directeur du Port, tous frais payés. «Cheikh Kanté est le meilleur Dg que le Port ait connu, je n’accepterai jamais qu’on le traine dans la boue», brave-t-il ceux qui seraient tentés de souiller l’honorabilité du très bon chic bon genre directeur du Port. Voilà Boughazelli ! Le genre de mec prêt à mener le combat d’autrui. Quoi qu’il lui en coûte. «Il est prêt à mourir pour ses amis», témoigne-t-on. C’est ce côté guérillero, prêt à sauter en parachute pour porter secours à un camarade qui impressionne Macky Sall.
L’homme a traversé des années de braises avec l’ex banni du perchoir de l’Assemblée nationale. Seydina Fall a été de tous les combats du Macky. Tout le contraire, précise-t-il, du petit frère du Président, Aliou Sall, qui était en Chine quand eux bravaient les traquenards de l’Etat pour porter le grand frère à la magistrature suprême. Décidément, quand «Bugga», comme on le surnomme, tient un morceau, il ne lâche jamais. Pauvre Aliou Sall…
«Moi puceau». Avec Boughazelli, tout est dans le ton du discours, dans sa teneur et comme il a un gabarit bodybuildé, le visage rondouillet, il peut donner l’impression de bouffer son vis-à-vis de le malaxer avant de l’avaler. Tout simplement. Mais ce papa poule invétéré qui a donné à tous ses garçons le nom du cinquième khalife des mourides, Serigne Saliou Mbacké, a une réputation de dur à cuire que les mots ne peuvent pas biffer. «Je ne suis pas méchant, je n’ai jamais levé la main sur une femme, je suis incapable de frapper mes enfants», assure-t-il. L’on pouvait le croire homme à femmes courant les demoiselles en mal d’argent. Mais Seydina Fall confesse un secret du siècle dernier. «J’ai été puceau jusqu’au mariage, je n’ai jamais connu d’autres femmes que mes deux épouses», affirme-t-il. Ne souriez pas, il en est bien capable le Seydina, surtout qu’il a pris comme deuxième épouse la copine de sa «Awoo». Waw ça craint hein. L’homme est ainsi fait. Capable du meilleur comme du pire. Aujourd’hui, il se réjouit que les amies devenues co-épouses s’entendent comme larrons en foire. Preuve que tout va bien : sa fille porte le nom de la première. Patatras…
Il faut aller à Fith-Mith, quartier populeux de Guédiawaye pour retrouver les traces de Seydina Fall. On est en 1969, son père fervent mouride qui travaille à Meubles de France, lui donne le nom de Seydina. Il n’aura pas le temps de grandir sur les lieux de son enfance, puisqu’il est confié à Serigne Saliou Mbacké. A la seule évocation de son marabout, des larmes coulent sur ses joues. Il pleure, une bonne minute, puis se reprend. «Serigne Saliou a tout fait pour moi, il m’a mis sur le droit chemin et c’est lui personnellement qui m’a appris le Saint Coran», se glorifie-t-il.
«Moi je ne regarde pas de films ni n’écoute de la musique». A l’âge d’une dix ans, il retourne à Fith-Mith enterrer son père. Aîné d’une fratrie de 7 bouts de bois de Dieu, il devient, très jeune, le chef de famille. Il s’arrête à la classe de 3ème secondaire sans décrocher le diplôme de fin d’études moyennes (Dfem). Mais attaquant véloce sur les terrains de foot, il fait les beaux jours de l’Asc Fith Mith. On le présélectionne en équipe nationale juniors et le Port autonome de Dakar s’intéresse à ce footballeur au talent old fashion. «C’est quelqu’un qui aurait pu réussir dans le foot de haut niveau, il était très bon», certifie son ami de toujours, Séga. Dans cette équipe du Port managée par Tidiane Kane, Seydina Fall partage le terrain avec le teigneux milieu de terrain Ousmane Thiongane et le très technique Platini. Un de ses amis, Ousmane Ndiaye, cloué au lit désormais, avait eu l’idée géniale de lui coller le nom de Boughazelli, ancien ailier du Casa-Sport devenu sur le tard gardien de but. Le nom va lui rester comme un label. Mais lui, veut avoir vite du cash pour aider sa famille. Il commence alors un business de vente de véhicules. Puis se fraie un chemin dans la politique. Il a connu Macky Sall quand l’actuel Président du Sénégal n’était que l’anonyme directeur de Petrosen. Il monte en grade dans le cercle restreint du Macky. Surtout quand beaucoup de ses amis lui ont tourné le dos suite à la guéguerre à l’Assemblée nationale. Il avoue avec ostentation avoir vendu des véhicules et un terrain pour miser sur le cheval de l’Alliance pour la République. Cette loterie devient vite un combat personnel, et frise l'obsession. Comme pour forcer le destin et se prouver une bonne fois pour toutes que sa vie est avec Macky, qu'il n'y peut rien, c'est comme ça. Pourtant, il a fait la prison quand il militait au Parti démocratique sénégalais (Pds) lors d’une élection, alors qu’il était mandataire, il fracasse l’urne. Un policier lui assène un coup de crosse sur la nuque, il en garde encore des séquelles. Il est jugé et détenu trois mois à Rebeuss. «Personne n’est à l’abri de la prison», murmure-t-il. Sa carapace dure s’est fissurée une fois quand son frère, Khadim, qui lui était très proche, est mort dans des conditions atroces de brûlures. «J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps quand Khadim est parti.» S’il ne fait pas la politique, il joue à cache-cache avec ses enfants, puisqu’il n’écoute pas de musique ni ne regarde des films. «Je ne regarde que les infos, je préfère lire le Coran et les khassaides», sourit-il. L’humour lui colle finalement à la peau. L’alliage des contraires est une seconde nature chez lui. Proche ou lointaine, son heure de gloire pourrait aussi être le début de la descente aux enfers.
MOR TALLA GAYE
L’OBSERVATEUR
Edition N°4838 du samedi 16 & dimanche 17novembre 2019