La motivation des actes administratifs est une obligation qui s’impose aux autorités administratives afin de garantir les droits des justiciables et d’informer ces derniers des motifs de droit et de fait qui fondent les décisions défavorables les concernant. De fait, la motivation exige d'élaborer un raisonnement rigoureux et d’exposer clairement les motifs qui ont fondé la décision. Dans sa décision du 30 mai 2022, portant publication des listes reçues, matérialisée par l’arrêté n°013389, le Ministre de l’Intérieur s’est borné au niveau de l’alinéa 2 de l’article 1er dudit arrêté de souligner que « n’est pas recevable la liste des titulaires au scrutin proportionnel présentée par la coalition Yewwi pour non-respect des articles L.178 alinéa 1 et L.179 alinéa 2 du code électoral », sans autre forme de précision.
Une décision visant les textes, mais dépourvue de toute motivation encourt la nullité
La référence à 2 articles du code électoral (L.178 alinéa 1 et L.179), mais sans aucune motivation des éléments de droit et de fait qui justifient que la liste nationale de YEWWI soit déclarée incomplète s’explique par le fait que le ministre de l’intérieur ne peut s’appuyer sur aucun argumentaire juridique fondé ou convaincant. En effet, le raisonnement doit l’amener à fournir les éléments de droit et de fait qui ont conduit à aboutir à cette décision. Les droits et les libertés politiques jouissent d'une garantie constitutionnelle –cf article 4 de la Constitution. Le défaut de motivation (une décision insuffisamment motivée) encourt la nullité. Dans l’arrêt n°37 du 09 juin 2016 Amnesty International Sénégal c/ Etat du Sénégal, la Cour suprême a annulé l’arrêté n° 196/P/D/DK du 29 avril 2015, du préfet du département de Dakar interdisant le rassemblement pacifique, d’Amnesty international Sénégal, qui devait se tenir le jeudi 30 avril 2015, de 10 à 12 heures, devant les locaux de l’ambassade de la République du Congo pour réclamer la libération des jeunes militants. La Cour suprême a conclu « qu’en se bornant à invoquer des risques de trouble à l’ordre public sans justifier, en outre, l’indisponibilité ou l’insuffisance des forces de sécurité pour y remédier, le préfet a violé l’article 14 de la loi n° 78- 02 du 29 janvier 1978 relative aux réunions ; Qu’il échet sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens, d’annuler l’arrêté attaqué ; ».
Aucune disposition du code électoral de 2021 ne traite du doublon sur une même liste
Mme Anta Touré figure doublement sur la liste nationale de YEWWI en qualité de titulaire et de suppléant. Pour autant, il n’existe aucune disposition du code électoral de 2021 qui traite du doublon sur une même liste.
Le dernier alinéa de l’article L.173 du code électoral dispose « qu’une même personne ne peut être candidate à la fois au scrutin majoritaire et au scrutin proportionnel, ni se présenter dans plusieurs départements ». Ledit article évoque uniquement le cas de doublon sur 2 listes différentes (majoritaire et proportionnel,) et sur plusieurs départements.
Mme Anta Touré ne rentre dans aucune des catégories susvisées (il s’agit d’un doublon sur une même liste qui relève d’une simple erreur matérielle qui donnera lieu à une régularisation ; la candidate étant dupliquée comme titulaire et suppléant). En conséquence, sa candidature ne peut, en aucun cas, être déclarée irrecevable.
Le Ministre chargé des élections n’a aucun pouvoir de déclarer une candidature irrecevable
Il y a lieu de préciser que le ministre de l’intérieur n’a aucun pouvoir de déclarer, d’office (par lui-même) une candidature irrecevable, même s’il en fait le constat. En effet, l’irrecevabilité d’une candidature relève d’une décision judiciaire. L’article L. 182 du code électoral prévoit d’ailleurs un seul cas où le ministre de l’intérieur doit effectuer une saisine du Conseil Constitutionnel aux fins de faire déclarer une candidature irrecevable, c’est l’inéligibilité « s’il apparait qu’une déclaration de candidature a été déposée en faveur d’une personne inéligible, le Ministre chargé des élections doit saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans les trois jours de la saisine sur la recevabilité de ladite candidature ».
Le dernier alinéa de l’article L. 182 précise clairement que Si le ministre ne respecte pas les délais mentionnés à l’alinéa premier, la candidature inéligible doit être reçue ». En la matière, une jurisprudence du Conseil Constitutionnel fait foi : en effet, dans sa décision n°9/E/98, le Conseil Constitutionnel avait rejeté la requête du Ministre de l’intérieur, tendant à faire déclarer la candidature de Mme Nogaye N’DIAYE irrecevable, au motif que le recours a été introduit hors délai (cf article premier de la décision n°9/E/98).
Le Ministre Antoine DIOM est hors délai, pour décider de l’irrecevabilité d’une liste
L’article LO.183 du code électoral dispose « Au plus tard soixante jours avant le scrutin, le Ministre chargé des élections arrête et publie les déclarations reçue, modifiées éventuellement, compte tenu des dispositions des articles L.179 et L.182. Une copie de l’arrêté de publication doit être délivrée à chaque mandataire de listes de candidats ».
Cet article ne fait plus référence à l’article 178, car à ce stade, le délai relatif à l’étude de la recevabilité de la liste est dépassé. En effet, l’article 179 alinéa 3 précise que « dans le cas où, pour l’un des motifs énumérés à l’article L.178, le Ministre chargé des élections estime qu’une liste n’est pas recevable, il notifie, par écrit, les motifs de sa décision au mandataire de ladite liste dans les deux premiers jours suivant le début de l’analyse pour la recevabilité juridique ».
Au 30 mai 2022, nous sommes loin des deux (2) premiers jours suivant l’analyse de la recevabilité juridique. Par conséquent, aussi invraisemblable que cela puisse paraitre, le ministre chargé des élections est totalement hors délai, le 30 mai 2022, pour déclarer qu’une liste est irrecevable.
Le bordereau de dépôt prouve que la liste nationale de YEWWI est complète depuis le 07 mai 2021
Dans sa décision n°1/E/2001 (jurisprudence ALE LO), le Conseil Constitutionnel a précisé que le caractère complet ou incomplet des listes de candidature doit être apprécié à la date de leur dépôt.
Or, il est établi de manière certaine et définitive, bordereau de dépôt à l’appui, que les 2 listes de la coalition YEWWI (départementale et nationale) étaient complètes à la date de dépôt (07 mai 2022).
Total des candidats présentés dans les départements : Titulaires : 56, suppléants : 56.
Total des candidats présentés sur la liste nationale : Titulaires : 53, suppléants : 50.
Tous ceux qui observeront attentivement le bordereau de dépôt constateront d’ailleurs, pour chaque liste, en termes de présentation, que les titulaires sont situés à gauche, et les suppléants à droite, le tout constitue un ensemble cohérent pour chaque liste. Ce qui prouve qu’une liste de candidature est homogène et indivisible (unicité), contrairement aux affirmations totalement loufoques de Mounirou Sy qui défend la thèse ubuesque de l’autonomie et de l’indépendance des listes. Si les listes sont indépendantes, pourquoi ne pas voter 2 fois (un premier vote pour les titulaires, et un second vote pour les suppléants) ? On voit bien jusqu’où l’absurde le dispute à l’inconséquence et à la malhonnêteté intellectuelle.
Il suffit d’ailleurs de lire les articles L.149 et Art.L.154 pour vérifier qu’on parle d’une liste de candidats. Au niveau de l’article L.154 du code électoral, Il est bien spécifié « Chaque liste de candidats comprend X nombre de suppléants aussi bien pour le scrutin majoritaire dans le ressort que pour le scrutin proportionnel ».
Faut-il le traduire en chinois ou en patois pour les illuminés du régime ?
Conclusion
Compte tenu des éléments précités, il ne fait l’ombre d’un doute que la décision du 30 mai 2022, du ministre de l’intérieur est mal fondée et dépourvue de base légale ; une décision aggravée par le fait que le ministre a agi hors délai.
La voie est toute trouvée par le Conseil Constitutionnel, dans le Considérant n°25 de sa décision du 08 juin 1998 (affaires n°12 à 29/E/98).
Considérant n°25 de la décision du Conseil Constitutionnel du 08 juin 1998 « Considérant, qu’il n’incombe pas au juge constitutionnel d’apprécier, en vue de son annulation, l’acte administratif que constitue l’arrêté du Préfet de Bignona ayant délocalisé des bureaux de vote ; que cependant, il en va tout autrement, en ce qui concerne, l’impact que cet acte peut avoir sur le déroulement normal ou la sincérité du vote tel qu’effectué, dans les conditions fixées par l’arrêté préfectoral dénoncé ».
Le Conseil Constitutionnel est compétent pour apprécier et neutraliser un acte administratif (arrêté), en visant expressément, son impact et ses effets, en matière électoral.
Seybani SOUGOU – e-mail : sougouparis@yahoo.fr
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