Sénégal : un casse-tête nommé Mbeubeuss

06 - Juin - 2018

Si la protection de l'environnement commence par la gestion des déchets, Dakar a encore du pain sur la planche.

Mbeubeuss. Ce nom réveille dans l'esprit de nombreux Dakarois l'image d'une montagne de plus en plus importante de déchets, mais aussi le constat d'une faille pour ne pas dire d'une faillite autour de la gestion des déchets dans ce beau pays qu'est le Sénégal. Mbeubeuss, c'est une décharge qui accumule chaque jour un peu plus les déchets de Dakar et sa région. Face aux difficultés de gestion de l'État, les travailleurs informels et les entreprises privées ont pris le relais.

Tout renvoie à un film post-apocalyptique. Les rapaces tournoient au-dessus d'une proie invisible. La vue est brouillée par les émanations des feux, des pots d'échappement et la poussière. Derrière les fumées, des silhouettes d'hommes, de femmes, de dizaines d'enfants et de bétail. Bienvenue à Mbeubeuss, l'une des plus vastes d'Afrique de l'Ouest, qui concentre les déchets de la région de Dakar et où s'affairent près de 4 000 récupérateurs.

Les parterres d'immondices dessinent par endroits de véritables falaises. Les déchets dégoulinent jusqu'au seuil des habitations de Malika et de Keur Massar, les deux communes qui ceinturent l'immense décharge de Mbeubeuss qui s'étire sur 114 hectares. Le dépotoir sauvage a été créé en 1968 sans étude d'aménagement préalable. Initialement, ce devait être un site d'enfouissement. Cinquante ans plus tard, les déchets s'amoncellent jusqu'à 15 mètres de hauteur et il n'y a toujours pas de délimitation physique. En 2015, Mbeubeuss est passée sous le contrôle de l'Unité de coordination de la gestion des déchets solides (UCG), rattachée au ministère de la Gouvernance locale, du Développement et de l'Aménagement du territoire. Pourtant, la gestion de ces ordures relève surtout du secteur informel.

La lutte quotidienne des récupérateurs

Il faut rouler un peu moins de dix minutes à travers les rebuts pour atteindre « Yémen », la zone de déversement exploitée à ce moment de l'année (une rotation s'opère selon les saisons). 2 200 tonnes d'ordures y sont quotidiennement débarquées par quelque 300 camions-bennes, entraînant un mouvement de foule systématique. Visages masqués ou couverts d'un tissu qui ne laissent apparaître que leurs yeux, vêtements sombres et souvent déchirés, crochet métallique à la main, les « boudiouman » (traduire « récupérateurs » en wolof) tirent leur gagne-pain de la récolte et du tri des déchets. Canettes, bidons de plastique, fils de fer, flacons de verre, carcasses de pneus, tissages, perruques… Ils se saisissent de tout ce qui peut se revendre. Le reste fera le bonheur des centaines de bovins qui paissent sur le plancher de Mbeubeuss.

La concurrence est rude. Chaque arrivée de camion déclenche les assauts des crochets métalliques. Pour cause : le kilo de plastique se revend 50 francs CFA, celui de ferraille 75, et on peut obtenir jusqu'à 300 francs CFA pour un kilo d'aluminium. Il faut jouer des coudes. Soda, 29 ans, s'échine à Mbeubeuss depuis plus de deux ans. « Le travail est dur parfois quand les camions arrivent, les hommes ne lâchent rien, il faut se bagarrer avec eux. Sinon, on n'a rien », confie Soda. Des trouvailles dont elle garnit son grand sac en plastique tissé la jeune femme tire autour de 15 000 francs CFA par semaine. Alioune, lunettes polarisantes vissées sur le nez et gants « squelette » troués, récupérateur lui aussi, renchérit : « C'est un métier difficile, on travaille dans la fumée et la poussière. On est ici parce qu'on n'a pas le choix. Si on le pouvait, on serait ailleurs. Mais ailleurs, il n'y a pas de travail. »

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