Quand des reporters sénégalais ne semblent en avoir que pour des antimodèles, on trouve réponse à l’étonnement et aux inquiétudes d’une internaute éberluée à l’idée qu’une personnalité comme Moustapha Cissé Lô, vice-président de l’Assemblée nationale du Sénégal et - surveillez votre rythme cardiaque - président du Parlement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), puisse être plus couru que le Pr Souleymane Mboup, découvreur du virus de Vih2 et plus invité sur les plateaux de télévision et plus interviewés par des radios. « C’est à peine si l’animateur (de telle émission de télévision dakaroise, Ndlr) ne suppliait pas (Cissé Lô, Ndlr) d’insulter, s’indigne notre internaute… Toutes les relances étaient destinées à lui faire sortir des énormités de la bouche ». Les bêtises ainsi proférées vont faire le buzz et l’audimat !
Un chanteur de levée de rideau voire de petite catégorie ou encore au petit micro comme « Mame Gor Diazaka est passé à la télé plus que le professeur Ceslestino Furtado Rodrigues Pereira, un des cancérologues parmi les trente meilleurs reconnus par l’Organisation mondiale de la santé (Oms). « Il n’est pas une célébrité au Sénégal. Mais dans le monde scientifique, ce Sénégalais, né le 24 octobre 1964 à la Sicap de Dakar, n’est plus un illustre inconnu », écrit Idrissa Mané dans les pages du quotidien national Le Soleil. Ajoutez à ces paradoxes celui d’un criminel politique reconverti expert, vedette très sollicitée par des chaînes de radio et de télévision qui ont ainsi forgé son statut de célébrité. « C’est quoi le projet ? », pour reprendre une des questions favorites des facebookers.
Il n’y a sans doute pas d’arrière-pensée dans cette vedettarisation presque outrancière des antimodèles ; il y a, juste, me semble-t-il, un goût immodéré pour la routine, la facilité et l’habitude cheminer dans les sentiers battus. Marcher sur des brisées, surtout quand ces dernières sont plates, écrasées, n’est pas une manière de faire œuvre originale en matière de journalisme. On peut en avoir plus à apprendre de ceux qu’on n’entend pas toujours. Autrement dit, ceux par qui la presse sature et pollue ses pages, ses écrans et ses antennes ne sont pas, forcément, ceux qui portent une information utile au public. C’est notre conviction ; et nous ne pensons pas être seul à en être persuadé.
Dans le choix de ses personnes-ressources, la presse doit être plus imaginative, plus originale et fouiller à fond le carnet d’adressses - si tant est que certains journalistes en ont vraiment qui mérite d’être appelé ainsi.
« Apprenons à promouvoir les plus valeureux parmi nous afin de permettre à cette jeunesse de prendre les bonnes références », supplie l’internaute. Si cet appel n’est pas entendu, la presse aura raté sa troisième mission qui est d’éduquer, les deux autres étant l’information et le divertissement.
Prime au mauvais journalisme – D’aucuns riront aux larmes de la proposition insolite de Moustapha Diakhaté, ministre conseiller du président de la République et ancien président du groupe parlementaire Bennoo Bokk Yakar à l’Assemblée national, initiateur, sur sa page Facebook « Lignes républicaines », d’un certain « Mouvement caaxaan faaxee regroupant des citoyens sénégalais militants d’une presse de qualité » (sic). Diakhaté et son mouvement envisagent de « décerner tous les mois un prix dénommé « Chapeau d’âne du fake journaliste ». Une distinction à trois objectifs que sont, pour le premier, « de contribuer à encourager le vrai journalisme et de combattre la diffusion de fausses informations ». Le deuxième est « de rappeler que le cœur de métier du journalisme digne de ce nom est, précisément, d’invalider les fausses nouvelles et non pas de les diffuser ».
Ce bonnet d’âne devrait alors être au journalisme ce que la Framboise d’or est aux Oscars hollywoodien du cinéma américain : un symbole de la dérision et du désaveu. Peut-être que le prix du Mouvement Caaxaan Faaxee serait délivrée en marge, la veille ou le lendemain du Gala annuel de la Convention des Jeunes reporters du Sénégal (Cjrs) qui sacre des travaux méritants réalisés par de jeunes reporters au Sénégal. La Golden Raspberry Awards (Framboise d’Or ; et il y a une même une fondation autour de ce prix de la dérision) est décernée aux films les plus médiocres d’Hollywood, lors d’une cérémonie tenue tous les ans la veille de la soirée des Oscars. Et elle est courue, cette soirée des Razzies Awards - les anti-Oscars. Peut-être que celle de Caaxaan Faaxee le serait, elle aussi !
Jean Meïssa DIOP