Durant la plénière de ce vendredi 15 novembre 2019 portant examen de la seconde Loi de Finances Rectificative, j’ai interpellé monsieur le ministre Abdoulaye Daouda DIALLO sur un certain nombre d’aspects problématiques de leur gestion budgétaire. Ses réponses ont été soit inexistantes, soit insuffisantes.
Je reviens livrer à l’opinion, dans cette première publication qui sera suivie d’une seconde, les détails que le très faible temps de parole imparti par les plénières ne nous permet pas de développer à la tribune de l’hémicycle.
1 – Exécution budgétaire : le cas de certaines indemnisations d’expropriations pour cause d’utilité publique
Un budget, ce n’est pas seulement la préparation et le vote, c’est aussi l’exécution et le contrôle. L’examen de cette LFR2 était l’occasion de revenir sur les procédés ingénieux mis en place par certains agents ou services de l’État, en complicité avec des hommes d’affaires, pour détourner d’importants fonds publics de leur destination budgétaire initiale. C’est le cas des indemnités d’expropriations pour cause d’utilité publique que nous avons partiellementsoulevées avec l’affaire dite des 94 milliards.
Suivez bien !
J’ai rappelé au ministre qu’en matière d’indemnisation des expropriés, les services du ministère des finances utilisent trois mécanismes :
le premier consiste à des paiements effectués par le chef du bureau des domaines sur la base des crédits budgétaires disponibles notifiés par le MEFP au titre de la loi de finances ;
le deuxième concerne des conventions tripartites de reconnaissance de dette (lettre de confort) entre l’État, l’exproprié (plus précisément l’acquéreur de l’indemnité d’expropriation) et une banque privée (Ex : État – SOFICO/ CFU– UBA) ;
le troisième procède de comptes ouverts par l’État du Sénégal dans des banques privées avec des intitulés comme : « Programme de Défense des Intérêts Économiques et Sécuritaires du Sénégal (PDIES) ou « Expropriation État ».
Ces comptes sont directement gérés par le Directeur général du Budget qui procède aux ordres de virements.
Si ce dernier mécanisme (comptes ouverts par l’État dans des banques privées) a été plus utilisé que les deux autres, pour verser des dizaines de milliards à un seul homme d’affaire, à travers ses deux entreprises (SOFICO et CFU) et sur la base de créances douteuses ou inexistantes, c’est simplement parce qu’il n’est pas soumis aux contrôles de l’ordre administratif. Même la cour des comptes n’effectue aucun contrôle au niveau des rubriques budgétaires au sein desquelles ces crédits sont logés.
Le ministre Abdoulaye Daouda DIALLO a préféré ignorer la question en n’y répondant pas.
Je comprends sa gêne car il sait très bien que j’ai fait allusion à une véritable association de malfaiteurs dont les fonctionnaires cités jusque-là dans l’affaire des 94 milliards ne sont que la face visible. Le ministère des finances est impliqué jusqu’au cou, et certainement, des sphères plus élevées encore de l’État sont également impliquées. Et c’est cette association de malfaiteurs, qu’une autre association de 7 vieux députés dans le vent, a voulu blanchir par une commission d’enquête qui restera comme l’une des plus grosses tâches de l’histoire parlementaire du Sénégal.
Alors, quelques questions simples à monsieur le ministre :
Pouvez-vous (oserez-vous) nier l’existence de ces comptes ?
le compte « Programme de Défense des Intérêts Économiques et Sécuritaires du Sénégal (PDIES) » est-il logé à la Présidence de la République et rattaché aux fonds secrets ?
En quoi payer des indemnités toxiques suite à des rachats de créances fictives relève- t-il de la sécurité nationale ?
Pouvez-vous nier que ces comptes ont servi à payer des dizaines de milliards aux sociétés SOFICO et CFU ?
Pouvez-vous affirmer que ces dizaines de milliards ont été payées en toute légalité ?
Pouvez-vous nier que les montants payés à ces entreprises à titre d’indemnisation sur la période 2014 à 2018 dépassent très largement les crédits budgétisés et votés à cet effet ?
Comment avez-vous pu payer plus de 6 milliards d’indemnités à la SOFICO en 2015 alors qu’aucune inscription budgétaire n’était prévue à cet effet ?
Pourquoi l’agent judiciaire de l’État, sous votre hiérarchie, ne bouge pas le plus petit doigt alors que des milliards du contribuable ont été détournés dans une entreprise d’escroquerie à grande échelle ?
Vous comprendrez par ces questions, chers compatriotes, pourquoi toute la République tremble et veut enterrer cette affaire au plus vite (comme pour la nébuleuse du pétrole et du gaz). Nos vis-à-vis évitent soigneusement d’en parler depuis quelques semaines et procèdent à des sondes, par voie de presse, pour un éventuel classement sans suite. Mais à monsieur le Ministre, aux collègues de l’Assemblée et à l’ensemble du peuple sénégalais, nous disons que cette affaire ne fait que commencer. Elle ne sera ni classée sans suite, ni oubliée, et aucun procureur ou juge, fussent-ils totalement soumis, n’oserait le faire. Le peuple ne l’acceptera pas !
2 - la LFR2 consacre une hausse de 650 millions sur les dépenses de personnel justifiées par la prise en charge des indemnités accordées aux ayants droit pour charge de téléphone.
D’une part, j’ai rappelé au ministre que la création de cette « allocation forfaitaire mensuelle » est incompréhensible pour un gouvernement dont l’argument a été jusqu’ici la maitrise de la masse salariale. Elle pose ainsi un premier problème d’équité et de justice. Comment un gouvernement qui refuse d’ouvrir toute discussion avec les syndicats sur la question de la rémunération, peut octroyer une nouvelle indemnité à une catégorie d’agents n’exerçant, pour l’essentiel, que des fonctions politiques, et en zappant ceux-là qui effectuent des tâches opérationnelles pour un service public de qualité ?
D’autre part, j’ai fait noter que cette allocation forfaitaire mensuelle pour charges de téléphonie pose un problème d’équité et de justice au regard de son traitement fiscal illégal consacré par la lettre du ministre Abdoulaye Daouda DIALLO n°7888 MFB/DGID du 14 octobre 2019 portant traitement fiscal de l’allocation mensuelle forfaitaire pour charges de téléphonie mobile à certains agents de l’Etat. Dans cette lettre adressée au Directeur général du Budget, il précise que cetteallocation est exonérée de l’impôt sur les traitements et salaires.
Dans sa réponse, monsieur le ministre a invoqué les dispositions de l’article 167. 4 : « sont exonérées de l’impôt les indemnités et primes spéciales destinées à assurer le remboursement de frais forfaitaires, dans les limites fixées par le ministre chargé des Finances ».
Cette réponse est erronée. Monsieur le ministre, inspecteur des impôts de profession, sait pertinemment que son argument ne tient pas. Et mieux que quiconque, il comprend parfaitement que cette allocation constitue, à n’en pas douter, à une augmentation de salaire au profit des bénéficiaires ainsi que le démontrent les décrets n°2019-1310 et n°2019-1311 du 14 août 2019 qui l’ont instituée.
A ce titre, conformément aux dispositions combinées des articles 164, 165, 166 et 167 de la Loi n°2012-31 du 31 décembre 2012, modifiée portant Code général des Impôts, cette « allocation forfaitaire mensuelle pour charges de téléphonie mobile » est un revenu imposable.
En exonérant cette allocation par une simple lettre administrative, le ministre des Finances et du Budget s’est non seulement rendu coupable de violation de la constitution (article 67) et de la loi (CGI), mais il a consacré une rupture fondamentale du principe d’égalité des citoyens devant l’impôt. La violation de la Constitution consiste dans le fait qu’il appartient à la loi votée par la seule Assemblée Nationale de fixer les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. Sous ce rapport, il est évident qu’il n’appartient pas au Ministre des Finances et du Budget, ni même au Président de la République, de dire par un acte réglementaire ce qui est imposable ou ce qui est exonéré. C’est pour cette raison certainement que le ministre, mal à l’aise après mon interpellation, a cherché à se réfugier dans les dispositions de l’article 167-4° du Code général des impôts. Mais cette démarche met à nu sa mauvaise foi. Car s’il est clair que l’allocation en question est exonérée par la loi, comme l’a soutenue le ministre Abdoulaye Daouda Diallo, à quoi bon prendre un arrêté pour définir son régime d’imposition ?
L’article 167-°4 du Code général des impôts invoqué par le Ministre dispose : « sont exonérées de l’impôt les indemnités et primes spéciales destinées à assurer le remboursement de frais forfaitaires, dans les limites fixées par le ministre chargé des Finances. ».
C’est en conséquence de cette disposition que le Ministre de l’Economie et Finances a pris l’arrêté n°012914 MEF/DGID du 31 juillet 2013portant évaluation des avantages en nature compris dans la base de l’impôt sur le revenu pour, en son article 1er, fixer forfaitairement le montant à 10.500FCFApour l’eau, 30.200FCFApour l’électricité et 67.500FCFApour le téléphone, entre autres…
Ce même arrêté précise, en son article 3, que « Toute indemnité en argentreprésentative d’avantages en nature doit être intégralement comprises dans la base de l’impôt sur le revenu, la présente évaluation (article 1er) ne pouvant être retenue en ce cas ». Ironie du sort, cet arrêté porte, pour le compte du ministre de l’Économie et des Finances, la signature de monsieur Abdoulaye Daouda DIALLO, alors ministre délégué au Budget. Triste !
Ces allocations pour charge de téléphonie ont toujours été ainsi conçues par la doctrine fiscale. C’est en foi de cette claire lecture de la loi et de la doctrine que d’importants redressements fiscaux, assortis de pénalités et majorations, sont régulièrement opérés par les services de la DGID à l’encontre des entreprises privées qui ont omis d’imposer ces allocations de téléphonie pour des montants largement inférieurs à ceux octroyés à quelques agents de l’État et à la clientèle politique.
2020 est annoncée par le gouvernement comme l’année d’une traque fiscale massive pour porter le taux de pression fiscale à 17,7%. Avec vos pratiques monsieur le ministre, vous aggraver l’injustice fiscale en protégeant les hauts revenus politiques et administratifs (ministres, députés, DG, hauts fonctionnaires, HCCT et CESE…) pour ne faire supporter le fardeau qu’aux petits salariés et quelques entreprises.
Le problème, monsieur le ministre, c’est que votre département est coutumier de tels forfaits et je vous avais déjà interpellé sur des cas similaires lors du vote de la première LFR au mois de juin 2019.
Monsieur le ministre Abdoulaye Daouda DIALLO a manifesté sa volonté de discuter de ces questions avec moi et j’y souscris entièrement. Seulement, la tribune de l’assemblée ne s’y prête guère avec un temps d’intervention de 3 à 5 minutes maximum par député, doublé d’un refus systématique de la majorité pour un second tour de parole.
Comme toujours, je me mets à la disposition des médias pour un débat public qui nous permettrait, sur ces questions comme sur d’autres, tels que la dette, la gestion des ressources naturelles, l’investissement, les grands chantiers… d’édifier les citoyens sénégalais sur la nébuleuse gouvernance actuelle du Sénégal.
A suivre…
Ousmane SONKO, député Dakar, le 18 Nov 2019
Assemblée nationale du Sénégal
XIIIème Législature