Dans l’affaire Adama Gaye, il faut se garder de toute conclusion hâtive. D’une part, inculpation n‘est pas synonyme de culpabilité (l’inculpé bénéficie à ce stade, et jusqu’à preuve du contraire de la présomption d’innocence) et d’autre part la fureur du bruit ne résiste nullement aux faits. Brandir la notion d’offense au Chef d’état et d’atteinte à la sûreté de l’état est une chose, mais prouver l’intention délictueuse du délit d’offense dans le cas d’Adama Gaye est une gageure, même si nous sommes en Afrique, dans des Républiques bananières, où tout est possible.
Pour mémoire, en 2000, 3 dictateurs africains, feu Omar Bongo (Gabon), Denis Sassou Nguesso (Congo -RDC), et Idriss Déby (Tchad) avaient intenté un procès contre François-Xavier Verschave, Président de l’association Survie, auteur du célèbre ouvrage « Noir Silence » pour délit d’offense à chef d’Etat étranger. Dans ce livre, véritable brûlot à l’époque, François-Xavier Verschave, pourfendeur de la Francafrique, fustigeait les sales pratiques des 3 présidents africains et mettait à la disposition du public des documents, des éléments de preuves et des faisceaux d’indices accablants permettant de conclure que les 3 incriminés ont fait subir à leurs peuples des préjudices inestimables qualifiés de crimes économiques et de crimes contre l’humanité, au sens des textes et des instruments juridiques internationaux ( enrichissement illicite, pots de vins, rétro-commissions, vol et détournement de deniers publics, népotisme, corruption, concussion, association de malfaiteurs, blanchiment de capitaux en bande organisée, kidnapping et assassinat d’opposants politiques ….).
Dans un jugement historique en date du 25 avril 2001, le tribunal de Grande Instance de Paris rejetait la plainte des trois chefs d’Etat africains, considérant que le délit d’offense à chef d’Etat étranger était incompatible avec les articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Une décision confirmée par la Cour d’appel qui a conclu que « le délit d'offense à chef d'État étranger doit être constitué d'une intention délictueuse, qui n'a pas été démontrée ». La Cour analysait le délit d’offense à Chef d’état comme une atteinte à la liberté d’expression et un moyen de donner aux chefs d'Etat un statut exceptionnel sans répondre à un « besoin social impérieux ». Pour la Convention européenne des droits de l’homme, la volonté d’un État de protéger la réputation de son Chef ne « peut justifier de conférer à ce dernier un privilège ou une protection spéciale vis-à-vis du droit d’informer et d’exprimer des opinions à son sujet, fusse t’il Président de la République ». Le délit d’offense est donc une mesure excessive, créatrice de droits exceptionnels injustifiés. Dans l’exposé des motifs tendant à la suppression du régime de l'offense à chef d'Etat étranger issu de l'article 36 de la loi du 29 juillet 1881, le Sénat français a souligné que « le régime de l'offense à chef d'Etat étranger était incompatible avec l'état actuel du monde, et que les chefs d'Etat étrangers ne devaient pas être protégés, dans tous les cas ». L’offense aux Chefs d’état étrangers a été abrogée en 2004 et l’offense au Chef de l’Etat français abrogé en 2013 (dans les faits, elle était inapplicable, obsolète depuis 1974).
Dans l’affaire Adama GAYE, une première infraction liée à l’article 256 du code pénal lui avait été notifiée lors de son interpellation par la DIC « la diffusion d’écrits contraires aux bonnes mœurs ». Finalement, cette infraction a été écartée, car extrêmement difficile à qualifier au niveau juridique et impossible à prouver pour le cas d'Adama GAYE. Parce que l’article 256 menait à une impasse, le Doyen des juges, Samba SALL qui est dans tous les coups (à chaque fois qu’il s’agit d’arrêter des opposants de Macky Sall), a retenu les délits « d’offense au Chef de l’Etat » et d’atteinte à la sécurité de l’Etat. De telles infractions (fourre-tout) ne peuvent prospérer que dans les républiques bananières. Pour le délit d’offense au Chef de l’Etat, il va falloir clairement prouver « une intention délictueuse, de la part d’Adama GAYE ». Dans un souci de parallélisme des formes (tout le monde se souvient que le frère du Président, Aliou Sall a juré, la main sur le coran qu’il n’était pas coupable dans l’affaire PETROTIM), un exemplaire du coran devrait être remis, à Adama Gaye, dans sa cellule. Si Adama Gaye, jure la main sur le Coran que son intention n’est pas délictueuse, alors sa parole fera foi contre celle du Juge. Pourquoi ce qui est valable pour le frère du Président ne le serait pas pour Adama GAYE ?
Naturellement, tout le monde aura compris que la démarche n’a pas objet de substituer le Coran aux lois, dans un Etat de Droit, mais avant tout de dénoncer le comportement absurde et enfantin du frère du Président, Aliou Sall, ainsi que la technique du « 2 poids, 2 mesures ». Le magistère de Macky Sall se résume ainsi : « Ils se permettent tout ce qu’il refuse aux autres ».
Quant à l’infraction liée au délit d’atteinte à la sécurité de l’Etat, il ne mérite même pas qu’on s’y attarde. Nulle part, je n’ai vu Adama GAYE, dans ses écrits appeler à un soulèvement populaire, à une révolte où à un renversement du régime de Macky SALL. Le délit d’atteinte à la sûreté de l’Etat est totalement ridicule, mensonger et relève d’une farce grotesque. Les intérêts personnels de Macky Sall (conserver le pouvoir à tout prix) n’ont rien à voir avec ceux de l’Etat (défense de l’intérêt général).
Il faut faire la différence entre atteinte à la sûreté et atteinte aux intérêts du Chef de l’Etat.
Le Sénégal n’est pas un royaume. Macky Sall n’est ni Dieu, encore moins son prophète. En ayant fait le choix, en toute liberté, de briguer la magistrature suprême, et de devenir un homme public, Macky SALL a pris le risque de s’exposer aux critiques de ses concitoyens. S’il ne souhaite pas être critiqué, qu’il démissionne ou change de métier. Après tout, personne ne l’a obligé à être Président de la République du Sénégal ! En aucun cas, le délit d’offense ne l’exonéra du jugement des sénégalais.
Dans le discours sur la servitude volontaire, Etienne de La Boétie, soulignait « qu’Il n’y a d’oppression que volontaire ». Aujourd’hui, la démocratie sénégalaise est à terre, du fait des frasques d’un régime totalement déviant. Il appartient désormais aux citoyens, démocrates de tous bords et aux membres des organisations de la société civile d’agir pour remettre les choses à l’endroit.
Seybani SOUGOU - E-mail : sougouparis@yahoo.fr