Décrets de nomination illégaux : L’IGE avait sonné l’alerte dans un rapport public en 2014

30 - Octobre - 2019

Institution Supérieure de Contrôle de l’Ordre administratif, l’Inspection générale d’Etat est placée sous l’autorité directe du Président de la République et produit, à sa demande, des rapports confidentiels d’inspection ou de vérification estampillés « secret défense ». Néanmoins, L’IGE est tenue de présenter, chaque année, un Rapport public sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes, dans le respect du droit à l’information des citoyens consacré par l’article 8 de la Constitution et par l’article 9 de la loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011 abrogeant et remplaçant la loi n° 2005-23 du 11 août 2005 portant statut des Inspecteurs généraux d’Etat, modifiée par la loi n° 2007-17 du 19 février 2007. A ce jour (29 octobre 2019), les rapports d’activités 2016, 2017, et 2018 sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes, n’ont fait l’objet d’aucune publication.

Le rapport public 2014 sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes met à nu des pratiques illégales dans le domaine de la gouvernance administrative et fait état de violations extrêmement graves, des dispositions légales, en matière d’élaboration des actes réglementaires. Le constat établi par l’IGE relatif à la création et à la répartition des services par décret, est consternant (cf pages 28 et 45 du rapport): « le décret portant répartition des services de l’Etat est détourné de son objectif. En effet, le recours à un tel décret, pour "créer" de nouvelles agences apparaît comme un moyen de contourner l’obligation légale de réaliser l’étude préalable d’opportunité et d’impact, prévue à l’article 2, dernier alinéa, de la loi d’orientation n°2009-20 du 04 mai 2009 sur les agences d’exécution ».

Plus grave, les pages 30 à 36 du rapport 2014 mettent en avant un incroyable laxisme administratif qui relève de l’amateurisme, voire du banditisme d’état, concernant les nominations. Dans son rapport, l’IGE a énuméré une liste impressionnante de dysfonctionnements et de nombreux cas de violations et de détournement de la loi :

L’antériorité de la date de signature de certains décrets de nomination par rapport à la date du Conseil des Ministres au cours duquel ces décisions de nomination ont été prises (autrement dit, des décrets de nomination sont antidatés ; une fraude administrative d’une extrême gravité) ;
La nomination par décret, à de hautes fonctions, de personnes ne remplissant pas les critères requis, notamment la qualité de fonctionnaire et l’appartenance à la hiérarchie exigée ;
La nomination en qualité de Secrétaire général de département ministériel, de contractuels ou d’agents non fonctionnaires de la hiérarchie A, en violation de l’article 2 alinéa 2 du décret n° 2002-1173 du 23 décembre 2002 instituant un secrétaire général dans certains ministères

La nomination à de hautes fonctions, de personnes sous le coup de sanctions administratives prononcées, notamment, à la suite de rapports de vérification de l’IGE ;
La nomination de consuls généraux n’ayant pas une formation appropriée en matière administrative et financière ;
La nomination dans un des départements ministériels les plus importants, d’une personne n’ayant aucun lien avec l’Administration à un poste de responsabilité de la gestion des ressources publiques.

La sentence de l’IGE consignée, aux pages 36 et 56 du rapport 2014 est claire, nette et sans appel : « Le manque de rigueur dans la conduite des enquêtes de moralité, le défaut de consultation de l’IGE, les défaillances du processus décisionnel, conduisent à des dysfonctionnements dans l’élaboration des actes réglementaires et plus spécialement, dans celle des actes de nomination. Le constat est que ces actes sont régulièrement posés, en contradiction flagrante avec les dispositions législatives et réglementaires en vigueur.

L’Administration viole ses propres règles, s’exposant à des recours qui peuvent affaiblir l’autorité de l’Etat ». Plus inquiétant, L’IGE (un corps d’élite prestigieux) elle-même n’est pas épargnée par les pratiques déviantes du régime (politisation à outrance du corps) ; certains inspecteurs généraux d’état, étant membres du parti au pouvoir en violation totale de la loi. En effet, l’article 19 de la Loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011 abrogeant et remplaçant la loi n° 2005-23 du 11 août 2005 portant statut des Inspecteurs généraux d’Etat, modifiée par la loi n° 2007-17 du 19 février 2007 qui précise « qu’il est interdit aux Inspecteurs généraux d'Etat en activité, d'appartenir à un syndicat ou à un parti politique et, de façon générale, d'exercer des activités incompatibles avec leur statut ». Il est de notoriété publique que les inspecteurs généraux d’état Cheikh Awa Balla Fall coopté (nommé au tour extérieur) et Makhtar Cissé exercent des fonctions politiques officielles, en leur qualité des membres du parti au pouvoir (APR). Or, Cheikh Awa Balla Fall qui avait mis en place le mouvement « Mobilisation pour un deuxième Mandat (M2M) » et Makhtar Cissé qui a intégré le Secrétariat Exécutif National (SEN) de l’APR ne sont plus en mesure d’exercer la fonction d’Inspecteur général d’état avec la rigueur, la probité, l’objectivité, l’impartialité la neutralité et l’indépendance requises, conformément aux dispositions de l’article 16 de la Loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011 qui dispose que « Les inspecteurs généraux d’Etat doivent, en toutes circonstances, faire preuve de la réserve et de la dignité qu’implique leur fonction ». Mieux, l’article 20 de ladite loi précise « qu’aucun conflit d’intérêt ne doit exister entre les Inspecteurs généraux d’Etat et les missions qu’ils exercent », créant une incompatibilité de fait entre la fonction politique et la fonction d’inspecteur d’état.

Né le 24 septembre 1958, Cheikh Awa Balla Fall, a été nommé au tour extérieur, par décret du Président de la République (récompensé pour avoir créé un mouvement politique pour la réélection de Macky Sall). Une flagrante illégalité. Par ailleurs, l’article 11 de la loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011 dispose que le Président de la République peut nommer dans les fonctions d’Inspecteur général d’Etat des fonctionnaires, magistrats et officiers supérieurs des Forces armées appartenant aux niveaux hiérarchiques A1… comptant une ancienneté de 15 ans au moins et âgés au plus de 60 ans. Or, lorsqu’il a été nommé Inspecteur d’état en mai 2019, Cheikh Awa Balla Fall a dépassé la limite d’âge, puisqu’il a atteint ses 60 ans, exactement le 24 septembre 2018. Il ne s’agit pas des seules illégalités recensées, puisqu’à moins de faire preuve d’une incompétence notoire, Macky Sall n’est pas censé ignorer qu’il violait l’article 19 de la Loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011 en le nommant à l’IGE. Au demeurant, Macky Sall est-il incompétent au point de ne pas savoir que les nominations au tour extérieur doivent être soumises à la commission consultative de l'IGE, en vertu du Décret n° 2007-809 du 18 juin 2007 fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de l’IGE ? Enfin, l’intéressé Cheikh Awa Balla Fall, est-il inconscient au point d’ignorer que l’article 22 de la loi du 8 juillet 2011 qui dispose que « Les Inspecteurs généraux d’Etat exercent leur fonction à temps plein et qu’en aucun cas et sous aucun prétexte ils ne peuvent les cumuler avec toute autre fonction publique ou privée » interdit le cumul avec la fonction de Directeur de l’ENA ? Au vu de toutes les illégalités précitées, qu’attend donc M. Awa Balla Fall pour quitter l’IGE où il n’a pas sa place ?

Quant à Makhtar Cissé, bien qu’il soit actuellement en position de détachement de l’IGE, il a perdu de fait, son statut d’Inspecteur Général d’état en adhérant à l’APR et en intégrant le Secrétariat Exécutif National du parti au pouvoir, puisque l’article 19 de la Loi précitée interdit formellement « aux Inspecteurs généraux d'Etat en activité, d'appartenir à un parti politique. Il convient de préciser que le détachement n’est pas une cessation d’activité mais « la position du fonctionnaire placé hors de son corps d'origine et continuant à bénéficier dans ce corps de ses droits à avancement et retraite ». Malgré son détachement, Makhtar Cissé fait toujours partie des effectifs de l’IGE. Comme l’ancien Inspecteur d’Etat Abdoulaye Baldé qui avait démissionné de sa fonction en 2009, Makhtar Cissé doit tirer les conséquences de son choix et démissionner de l’IGE, sans délai. C’est une question d’éthique, de dignité et de respect de la loi. Ses tentatives de justification (maladroites) sur le fait qu’il n’est pas dans une position d’éligibilité qui le contraindrait à démissionner de l’IGE sont absurdes, infondées et totalement irrecevables. L’article 19 de la Loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011 ne traite pas de l’éligibilité, mais de l’incompatibilité entre fonction politique et fonction d’inspecteur général d’état. C’est clair et net : le statut de l’Inspecteur d’état interdit strictement l’appartenance à un parti politique. On ne peut pas un jour, être membre d’un parti politique, et un autre jour affirmer qu’on peut revêtir le manteau d’inspecteur Général de l’IGE ; un statut qui exige une neutralité permanente. Le statut d’inspecteur d’Etat n’est pas un statut à la carte (inspecteur le lundi, politicien le mardi, etc…).

Dans son rapport public 2013, sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes, l’IGE avait dénoncé (cf pages 148 et 149) la politisation à outrance de la haute administration publique en ces termes : « le fonctionnaire politisé ne sera pas en mesure d’éviter les conflits d’intérêts du fait de son implication quotidienne dans les affaires politiques, et n’inspirera aucune confiance dans les arbitrages qu’il fera dans le cadre de son travail, étant à la fois juge et partie ».

Au vu de tout ce qui précède, et afin de préserver la neutralité, l’indépendance, et le prestige de l’IGE (un corps d’élite composé d’inspecteurs impartiaux et intègres), Cheikh Awa Balla Fall et Makhtar Cissé qui ont intégré un parti politique, en violation totale de l’article 19 de la Loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011 doivent démissionner de l’IGE. Sans délai. Puisqu’ils ont choisi le parti (APR) au détriment de la patrie.
A défaut, le Vérificateur Général du Sénégal, M. François COLLIN doit prendre l’initiative de les faire démissionner (en adressant un courrier circonstancié à Macky Sall, pour lui rappeler le sens et la portée de l’article 19 précité). Car, c’est la crédibilité de l’Institution qui est désormais en jeu.

En conclusion, il convient de tordre le cou à une légende qui attribue à Macky Sall des pouvoirs exorbitants, et illimités en matière de nomination. Le pouvoir de nomination consacré à l’article 44 de la Constitution (le président nomme aux emplois civils) n’est pas un pouvoir absolu et n’est pas une prime à l’arbitraire. Ce pouvoir discrétionnaire est strictement encadré par les textes : Macky Sall ne peut pas nommer n’importe qui à l’IGE (la nomination doit respecter certains critères généraux) ou démettre un citoyen de ses fonctions n’importe comment (par ex, le directeur des droits humains Moustapha Ka, limogé récemment suite à son intervention devant le Comité des Nations Unies avait été nommé par décret n°2017-228 du 06 décembre 2017, après avis du Conseil supérieur de la magistrature et ne pouvait ainsi être démis que par un acte de même). Plus que jamais, une vigilance constante des citoyens est nécessaire pour éviter les abus de Macky Sall en matière de nomination, et le contraindre à se conformer à la loi.

Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr

 

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Auteur : Posté le : 31/10/2019 à 03h13

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