Etat d’urgence sanitaire en France : le mauvais copier-coller du régime de Macky Sall

28 - Décembre - 2020

I – Le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire en France
En France, pour faire face à l'épidémie de Covid-19, un nouveau régime d'état d'urgence sanitaire a été créé provisoirement dans le code de la santé publique par la loi du 23 mars 2020 (cf les articles L.3131-12 et suivants du code de la santé publique). L'état d'urgence sanitaire est une mesure exceptionnelle prise en cas de catastrophe sanitaire. Ce régime peut impliquer des restrictions concernant la liberté de déplacement des individus, des réquisitions de biens et de services ou des mesures de contrôle des prix. Le Conseil des ministres décrète l'état d'urgence pour un mois. Toutefois, au-delà de cette durée, la prolongation de l'état d'urgence doit être autorisée par la loi.
Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision doivent être rendues publiques. La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L.3131-19.
En France, l’état d’urgence sanitaire est resté en vigueur presque 16 semaines jusqu'au 10 juillet 2020, après avoir été prolongé par la loi du 11 mai 2020. Suivant un avis rendu par le Comité scientifique, la loi a prorogé l'état d'urgence sanitaire. C'est sur cette base qu'a été décidé le confinement général en France en mars 2020.
Suite au rebond de l'épidémie, ce dispositif a été reconduit par le gouvernement, à partir du 17 octobre pour un mois. Il a permis d'instaurer un couvre-feu dans plusieurs métropoles, puis dans 54 départements, avant qu'un nouveau confinement national ne soit instauré le 30 octobre 2020. Pour que l'état d'urgence sanitaire puisse s'appliquer au-delà du 16 novembre 2020, le Parlement devait donner son accord. Une loi a donc prolongé l'état d'urgence sanitaire de trois mois, soit jusqu'au 16 février 2021 inclus, sur l'ensemble du territoire national.
En France, le cadre juridique est clair, encadré et respectueux de l’état de droit et du principe de la séparation des pouvoirs :
1- L’état d’urgence sanitaire a été prévu dans le code la santé publique,
2- Le Conseil des ministres décrète l'état d'urgence pour un mois,
3- La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L.3131-19
En France, non seulement la prorogation de l’état d’urgence sanitaire est du ressort de la loi, mais qui plus est, cette prorogation ne peut être autorisée qu’après avis du comité scientifique. De plus, un avis du Conseil d’état est sollicité sur un projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire ou complétant ses dispositions.
C’est tout le contraire au Sénégal, où Macky Sall concentre tous les pouvoirs au prétexte de lutter contre l’épidémie de la covid-19 en insérant de nouvelles dispositions dans la loi sur l’état d’urgence de 1969 pour dépouiller l’assemblée nationale, en violation totale de la Constitution.
II – Le mauvais copier-coller du régime de Macky Sall
La preuve de ce mauvais copier-coller est donnée par le projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires présenté le 21 décembre 2020 par le Premier ministre français Jean Castex (procédure accélérée). Nos gouvernants ont copié bêtement le texte sans en connaitre les tenants et les aboutissants.

Le projet de loi définit 2 régimes distincts qui pourront être activés par les autorités en cas de nouvelle épidémie : l’état de crise sanitaire et l’état d’urgence sanitaire « cf Chapitre 1er intitulé « État de crise et état d’urgence sanitaires ».

Pour la section I intitulée « crise sanitaire », il est précisé que « l’état de crise sanitaire est déclaré par décret motivé pris sur le rapport du ministre chargé de la santé ». L’article L. 3131-2 dispose que « la prorogation de l’état de crise sanitaire au-delà de deux mois ne peut être autorisée que par un décret en conseil des ministres, pris sur le rapport du ministre de la santé, après avis public du Haut Conseil de la santé publique. Ce décret, qui est motivé, fixe la durée de cette prorogation, qui ne peut être supérieure à deux mois ».

Pour l’état d’urgence sanitaire, rien ne change « l’état d’urgence sanitaire sera pris par décret, permettant de basculer dans un régime d’exception fixé à un mois. En cas de prolongation, le vote du Parlement sera obligatoire ». Des précisions ont été apportées par les services du Premier ministre (Jean Castex) qui n’ont pas permis de lever tous les doutes. Suite aux nombreuses polémiques et réserves suscitées par le projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires présenté le 21 décembre 2020, le Ministre de la santé Olivier Véran a affirmé le 22 décembre sur la chaîne française TF1 que le texte ne sera finalement pas examiné « devant le Parlement avant plusieurs mois, avant d'être sorti de la crise » - cf liens ci-dessous :

https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/urgences-sanitaires-le-gouvernement-retire-un-projet-de-loi-controverse-186392

Projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire reporté sine die : retour sur une débâcle en trois actes

Saisi pour avis sur le projet de loi, le Conseil d’Etat « estime justifiée la prorogation jusqu’au 1er avril 2021 de l’application de la loi du 9 juillet 2020. Dans un contexte marqué par les incertitudes sur l’évolution à court et moyen terme de l’épidémie, l’alignement du terme du régime transitoire organisé par la loi du 9 juillet 2020 sur celui de la fin de l’état d’urgence sanitaire, laisse en effet à la disposition du Gouvernement une gamme d’outils de réaction à l’épidémie permettant de s’adapter à celle-ci. Le Conseil d’Etat relève que le Gouvernement entend, avant cette échéance du 1er avril 2021, soumettre au Parlement un dispositif législatif pérenne de gestion des crises sanitaires ou de lutte contre l’épidémie en cours qui prendra la suite du régime de sortie de l’état d’urgence organisé par la loi du 9 juillet 2020 ».

« Concernant des mesures générales d’interdiction aux personnes de sortir de leur domicile en raison de l’atteinte qu’elles portent à la liberté d’aller et de venir, comme celle prévue par l’article 51 du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020, permettant aux préfets des seize départements les plus touchés par l’épidémie de covid-19 d’instaurer un couvre-feu dans les métropoles en interdisant les déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin, le Conseil d’état estime que de telles mesures, doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il doit y être mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires ».

Par ailleurs, le Conseil d’Etat souligne que « le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789 et par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique que les données à caractère personnel doivent être conservées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées (Conseil d’Etat, avis n° 400104 du 1er mai 2020 sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions) ». « Le Conseil d’Etat invite le gouvernement et les parlementaires à rédiger clairement la nature des activités ou lieux concernés et à « encadrer davantage le contenu du décret », notamment sur les catégories de personnes visées ».

Conclusion : L’avis favorable du Conseil d’état sur le texte (dont l’objectif visé est de lutter contre l’épidémie de la covid-19) est assorti de réserves. L’avis n’est pas un blanc-seing (carte blanche). Le Conseil d’état a clairement défini les contours du contrôle juridictionnel et précisé que des recours seront possibles devant le juge administratif.

C’est ce projet de loi qui a été copié de manière « idiote » par le régime de Macky Sall. Le drame de notre pays, et ce n'est pas que nous copions plus de 90% du droit français : c'est que nous n'appliquons même pas 10% des textes que nous copions. Si on fie uniquement aux textes, le Sénégal est sans doute l’une des plus grandes démocraties du monde. On souscrit à tous les textes internationaux, et le Sénégal signe et ratifie à bout de champ pour détenir le label tant envié de pays démocratique, lui permettant de bénéficier de l’aide internationale. La réalité (pratique) est toute autre : le Sénégal est une « démocratie » sur le papier ; un tigre de papier. En 2018, le très sérieux journal britannique « The ECONOMIST » ne s’y est pas trompé, dans un rapport à charge, où il soulignait que « l’image du Sénégal vendue à l’étranger ne représente nullement le vécu du citoyen sénégalais moyen, ni celui de tous les acteurs politiques, un pays où la répression policière est systématique et où les opposants sont traqués comme dans les dictatures ».

En France, la décision prise de reporter l’examen et le vote du projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires pour laisser du temps à la concertation et lever le doute relève du bon sens (le gouvernement doit revoir sa copie et procéder à des adaptations). Des auditions sont prévues, avec des chercheurs, la défenseure des droits, la Cour nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), et des universitaires. Le texte sera débattu, et amendé. Nous sommes là dans le cadre du fonctionnement normal d’un régime démocratique.

II n’y a aucune équivalence possible entre la France et le Sénégal : la réalité en France où le système de contrepouvoirs fonctionne à tous les niveaux, est diamétralement opposée à celle du Sénégal où le forcing est la règle permanente, où Macky Sall concentre tous les pouvoirs, décide seul, et où l’assemblée nationale réduite à sa plus simple expression est déclassée, méprisée, ignorée, et dépouillée de ses prérogatives, se muant en chambre d’enregistrement des désirs de Macky Sall, même lorsqu’ils sont inconstitutionnels.
Et si pour une fois, Macky Sall copiait la France, dans le bon sens, en retirant son projet de loi loufoque qui dépouille l’assemblée nationale de ses prérogatives (cf article 24 nouveau), qui lui confère de nouveaux pouvoirs non prévus par la Constitution (cf article 25 nouveau) et dont les dispositions ne doivent pas être insérées dans la loi de 1969 sur l’état d’urgence et l’état de siège ? Cet anti républicain notoire imprégné de la culture de la force ne le fera pas.

Non seulement ils copient ; ils copient mal ; mais plus grave encore, ils ne comprennent même pas ce qu’ils copient. L’état d’urgence est un régime d’exception : un minimum d’intelligence permet de savoir qu’on ne peut greffer à ce régime d’exception, des mesures qui relèvent d’un régime classique. Mais, ça, visiblement, ils ne le savent pas !
Une piste : en France, l’état d’urgence sanitaire a été prévu dans le code de la santé publique.

Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr

 

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