« Il ne faut pas tourner autour du pot : Ibrahima Boubacar Keita et la Cour Constitutionnelle malienne sont auteurs d’un coup d’état constitutionnel au Mali »
Maître de Conférences HDR en Droit public à l’Université de Bordeaux, spécialiste de droit international public, de droit public comparé et du maintien de la paix et de la sécurité sur le continent africain, M. Matthieu Fau NOUGARET détaché auprès du Ministère français des Affaires Etrangères, en poste au Burkina Faso est l’auteur d’une Note en 2015, intitulée « Manipulations constitutionnelles et coup d’Etat constitutionnel en Afrique francophone ».
Une lecture attentive de cette note prouve que le chaos malien (effondrement des institutions) était prévisible.
Extraits de la Note
La perversion du droit constitutionnel n’est pas spécifiquement africaine, mais elle est largement utilisée en Afrique, plus particulièrement en Afrique francophone. Le coup d’Etat classique est celui mené afin de renverser l’ordre constitutionnel existant ; le coup d’Etat constitutionnel est celui mené par un des organes de l’ordre constitutionnel existant (l’exécutif) afin de modifier ce dernier.
Le coup d’Etat constitutionnel ne peut avoir lieu qu’avec la complicité d’autres organes de l’ordre constitutionnel existant, et le plus souvent les cours constitutionnelles (cf page 2).
Qu’il s’agisse du Conseil constitutionnel sénégalais et de sa fameuse décision controversée du 29 janvier 2012 sur le troisième mandat inconstitutionnel d’Abdoulaye Wade , ou encore de la décision en certains points similaires du Conseil constitutionnel burkinabè du 14 octobre 2005, ou encore de la décision rocambolesque du Conseil constitutionnel ivoirien du 3 décembre 2010 proclamant la victoire de Laurent Gbagbo, ou encore de la décision de la Cour constitutionnelle burundaise du 4 mai 2015, nombreux sont les juges constitutionnels à avoir montré leur insuffisance à être un véritable contre-pouvoir (cf page 4).
De nombreuses constitutions d’Afrique sub-saharienne francophone sont extrêmement bien rédigées, mais elles souvent utilisées comme un instrument permettant aux autorités en place d’assurer, dans le « respect » de l’Etat de droit, leur domination. Ce « jouet » fait l’objet de manipulations plus ou moins légales pouvant mener à des coups d’Etat constitutionnels. Il en sera ainsi tant que les juges constitutionnels n’auront pas le courage juridique de s’y opposer, et tant que les organisations régionales n’adopteront pas une approche intransigeante vis-à-vis des coups d’Etats constitutionnels. L’insurrection sera le seul moyen, risqué pour les populations, de faire échec à ces coups d’Etat constitutionnels. Les burkinabè ont montré une voie qui pourrait être suivie par d’autres, avec cependant beaucoup d’aléa (cf page 17).
Le chaos institutionnel malien était prévisible
Disons-le clairement et sans détour : le chaos institutionnel actuel au Mali a pour origine un coup d’état constitutionnel initié par Ibrahima Boubacar Keita et validé par la Cour constitutionnelle (fraude électorale massive d’une extrême gravité, lors de la publication des résultats définitifs des législatives de mars-avril, avec l’inversion de résultats au profit du régime en place et la confiscation de la volonté populaire).
La mission des 5 chefs d’État dirigée par le président en exercice de la CEDEAO Mahamadou Issoufou le 23 juillet s’est soldé par un échec complet. Ces 5 présidents ne sont ni crédibles, ni audibles et se préoccupent davantage des conséquences de la contagion malienne que de l’intérêt supérieur du peuple malien.
Ces hypocrites chefs d’état au chevet du peuple malien et dont certains manipulent leurs constitutions pour se maintenir au pouvoir et obtenir illégalement un troisième mandat devraient commencer par balayer devant leurs propres portes, respecter et faire respecter les dispositions communautaires qui proscrivent les coups d’état constitutionnels, réalisés avec la complicité des cours et des conseils constitutionnels moribonds.
1. Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. « Tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession et de maintien au pouvoir »
2. Point 5 de l’Article 23 de la Charte africaine pour la Démocratie « Les Etats parties sont passibles de sanctions en cas d’amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique »
3. Alinéa 4 de l’article la Charte africaine pour la Démocratie Les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur Etat
Qui sème le vent récolte la tempête. Au-delà la survie de l’état malien, ce qui se joue actuellement est le devenir des cours ou conseils constitutionnels et de l’état de droit en Afrique. Le sort d’Ibrahima Boubacar KEITA auteur d’un coup d’état constitutionnel, qui « joue » avec la Constitution malienne et qui a donné l’ordre aux forces de l’ordre de tirer à balles réelles sur des manifestants pacifiques nous laisse totalement indifférent : la souveraineté appartient au peuple.
Hosni Moubarak et Ben Ali ont été balayés par le printemps arabe (printemps des peuples) alors qu’ils étaient présidents en exercice. Macky Sall, Alassane Ouattara et Alpha Condé obnubilés par un 3éme mandat jouent avec le feu : ici comme ailleurs, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Tous les auteurs de coups d’état constitutionnels en Afrique francophone et tous les cours et conseils constitutionnels complices de ces coups d’état constitutionnels sont responsables du chaos en Afrique.
Article 35 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793 « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré et le plus indispensable des devoirs ». Pour éviter que le scénario malien ne se propage ailleurs, nous proposons à la CEDEAO de proscrire tout changement anticonstitutionnel ouvrant la voie à un 3éme mandat (lorsque la Constitution prévoit 2 mandats) qui n’est ni plus ni moins qu’un coup d’état constitutionnel.
Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr