Au moment où le monde craint, s’inquiète et cherche une porte de sortie des ténèbres de la pandémie du COVID 19, il peut paraître mal venu de nourrir un fol espoir sur l’avenir de l’Humanité. Pourtant, c’est maintenant, ou peut-être jamais !
L’Afrique, tout particulièrement, doit saisir l’opportunité du jour d’après le COVID 19, pour s’orienter vers une meilleure protection du capital humain, une plus grande autonomie à travers la transformation des ressources naturelles et une autre façon de gouverner.
1. Un réveil brutal avec des certitudes brisées
La pandémie du COVID 19 a réveillé, dans le monde entier, un réflexe de survie sous un vent de panique. Elle a aussi suscité une peur contagieuse, plus contagieuse que le virus lui-même, auprès du système étatique, économique et monétaire.
Une solution évidente s’impose à tous : casser la cagnotte et l’injecter dans l’économie mondiale polluée par le COVID 19 pour garantir la survie. Des milliers de milliards de dollars mobilisés, la dette publique examinée en vue d’un allègement ou d’une annulation, des cadeaux fiscaux jamais espérés, des aides aussi exceptionnelles que consistantes, une docilité économique insoupçonnée de la part de ceux qui courent sans cesse à la recherche du profit au point de perdre si lamentablement la bataille de la prévention médicale mondiale. Rien n’est négligé. Étonnant n’est-ce pas ?
A l’inverse de la crise de 2008 pendant laquelle le système bancaire avait pollué l’économie réelle obligeant les États à voler à son secours, dans la crise du COVID 19, c’est l’économie réelle fortement impactée par la pandémie qui pollue le système économique entier et oblige les banques et autres institutions financières à venir en aide aux États bigrement dépassés malgré l’apparence. Dans ces conditions, il est logique de maintenir en vie l’entreprise en se substituant, même artificiellement, au système de production des biens et services.
Jusque-là, une routine compréhensible. Au-delà de l’objectif consistant à protéger l’entreprise contre les faillites et à sauvegarder l’emploi largement menacé, les mesures correctives adoptées convoquent une profonde remise en cause des « certitudes » de l’ordre économique mondial actuel. Pour juguler les conséquences économiques de la pandémie du COVID 19, les règles d’orthodoxie économique, religieusement prônées par les institutions internationales et qui servent à distinguer les « bons élèves » des « mauvais », sont complètement ignorées par leurs propres prescripteurs. Que valent aujourd’hui la notion de cadrage macro-économique sain et tout l’arsenal de notions fétiches élevées au rang d’étalon pour apprécier la bonne tenue des finances publiques ? La notion de croissance économique ? L’interrogation est légitime si on jette un coup d’œil sur ce que sont en train de devenir les critères de convergence, bâtis laborieusement pour les besoins de Maastricht et rigoureusement copiés et collés dans le cadre des unions d’intégration africaine. Ils volent inexorablement en éclats devant les besoins de sauvetage des conséquences du péril COVID 19.
Peut-on encore, avec les opportunes injections massives de liquidités (on annonce déjà 100 milliards de dollars pour l’Afrique) parler de maîtrise de l’inflation ? de faible déficit public ? de « marges normales » du taux de change ? de valeurs monétaires ? de valeurs boursières ? Que devient le ratio de solde budgétaire (dons compris !) rapporté au PIB nominal ? Et l’encours de la dette intérieure et extérieure ?
Même les critères de second rang comme le ratio masse salariale sur recettes fiscales et le taux de pression fiscale demeurent introuvables dans un contexte où les opérations du commerce extérieur et la taxation des biens et services sont mis à rude épreuve.
De la même façon que le système financier a franchi le pas en remettant en cause ses « fondamentaux », l’Afrique doit se résoudre à tirer les impitoyables leçons de la grave crise sanitaire que nous traversons et briser les schémas dans lesquels elle est enfermée et qui constituent un frein à son développement. L’Afrique doit emprunter une nouvelle direction.
2. Un changement de cap
Bien évidemment, le premier test des États et gouvernements africains est de traverser debout cette crise inattendue sans être emportés par la vague de contestations qu’elle engendre nécessairement de la part des populations déjà économiquement et socialement confinés dans la difficulté chronique de survie. L’impérieuse nécessité d’évaluer la crise du COVID 19 ne devrait pas perdre de vue trois grandes leçons.
D’abord, il est désormais évident que pour continuer à prospérer, il convient de veiller à la protection du capital humain.
Ensuite, dans un contexte de mondialisation, la fermeture des frontières interpelle davantage l’Afrique sur sa dépendance chronique de la production étrangère et d’une répartition des richesses qui laisse en rade des générations futures.
Enfin, la façon de gouverner a révélé une surprenante vulnérabilité en matière de prévention, d’anticipation, de transparence et d’aptitude à recourir aux outils modernes de la technologie.
2.1. Les ressources humaines
« L’homme est au début et à la fin du développement » disait Léopold Sédar Senghor, ancien Président de la République du Sénégal. Cette affirmation prend tout son sens à l’analyse de la crise du COVID 19. En effet, la menace que fait peser la pandémie sur la santé humaine a entraîné une paralysie économique aggravée par des mesures de confinement adoptées dans plusieurs pays. Il convient donc de recentrer la ressource humaine dans la société en prenant en charge ses préoccupations. La première d’entre elles est une santé durable. Celle-ci passe par une prévention efficace, hygiénique et sanitaire. Ce dispositif est souvent absent ou défaillant dans l’offre sanitaires des pays en développement. Quant au plateau médical, il est vétuste, très peu performant et insuffisant. La recherche médicale, composante essentielle du dispositif sanitaire, est le parent pauvre de la santé en Afrique. D’autres facteurs aggravants comme l’insécurité alimentaire, l’ignorance et la guerre réduisent le fossé entre la maladie et la mort.
Jusque-là, les ressources humaines en Afrique sont constituées, pour simplifier, de deux franges. L’une est constituée d’une petite minorité surqualifiée formant l’élite au pouvoir et tenant les activités économiques ou encore un « nuage de cerveaux » dont la plupart est au service des pays développés. L’autre regroupe la grande majorité formée de jeunes (l’âge médian est de 19 ans en Afrique) sous qualifiés, peu instruits, d’une santé souvent fragile, en proie à l’accès difficile à l’eau, l’électricité, le logement, à un environnement sain et au droit élémentaire à la connexion internet. Cette masse constitue le réservoir de l’émigration clandestine et constitue la main d’œuvre bon marché, sur place ou à l’étranger.
Mieux protéger ces ressources humaines est devenu un impératif. Cela suppose un changement de cap avec des choix de prise en charge efficace des citoyens, du berceau à la tombe, adossée à un système de prévention éprouvé pour faire face aux risques, avec assurance, et aux incertitudes comme celles relatives au COVID 19, avec détermination. Cela suppose également une autre façon d’organiser l’éducation en optimisant le recours aux technologies de l’information pour mieux exploiter les autres richesses.
2.2. Les ressources naturelles
L’Afrique est immensément riche et étonnamment pauvre.
Jusque-là, les ressources naturelles de l’Afrique sont, en général, aliénées (dans des conditions défiant la transparence et l’équilibre raisonnable d’une transaction) à de puissantes industries qui les transforment hors de l’Afrique. Les prix de ces matières premières connaissent également des variations erratiques à tendance baissière et l’accès à certains marchés à une réciprocité à travers de véritables « contrats d’adhésion » comme les accords de partenariat économique.
Au lendemain de la pandémie du COVID 19, on devrait s’attendre à une course à la réindustrialisation de la part des pays les touchés qui ont payé chèrement leur dépendance de « l’usine chinoise du monde » même pour la fabrication des masques de protection.
L’Afrique doit se mettre sur la ligne de départ de cette compétition avec l’avantage de disposer des ressources naturelles à transformer. Certes, l’Afrique devra bien tenir le cap pour la production sur place de l’énergie électrique suffisante et négocier âprement le financement et le transfert de technologies dans un partenariat gagnant-gagnant, dans son intérêt exclusif, sans exclusion de partenaires.
Cette industrialisation indispensable doit inclure la transformation des produits agricoles, des ressources animales et halieutiques. En résumé, la judicieuse combinaison entre la sauvegarde des ressources naturelles, la maîtrise de l’énergie, le recours au « nuage de cerveaux » surtout africains, éparpillés dans le monde et le transfert de technologie, constitue la voie du salut dans la reconstruction d’une Afrique qui compte et modère le monde.
2.3. La gouvernance
Autant de nouveaux critères sont à réinventer pour guider la marche économique du monde, autant la gouvernance doit emprunter la voie qui permet de sortir définitivement du fond du sac dans lequel sont confinés plusieurs pays africains.
De nouveaux critères doivent accompagner l’adoption par les institutions financières internationales d’une nouvelle culture mettant de l’avant le bien-être des populations, leur droit à une vie décente, la promotion de l’espérance de vie en bonne santé, la réduction des déserts médicaux, la qualité des plateaux médicaux, la qualité du système éducatif, l’importance des investissements sur le capital humain, bref le progrès social.
Sur la gestion des ressources naturelles, une toute autre gouvernance est attendue rompant avec l’opacité ambiante qui enveloppe cette question.
Gouverner autrement, c’est également afficher la plus grande transparence en matière de certifications des réserves en ressources naturelles, de procédure plus inclusive d’aliénation des richesses avec notamment une implication des parlementaires, de niveau de transfert de technologies, d’évolution de la quantité d’énergie consommée, de climat des affaires, de densité des chaînes de valeur de la transformation industrielle, de promotion de la paix et du développement durable, d’intégrité électorale, pour mettre fin au pillage économique et à la corruption.
Gouverner autrement, c’est accepter une gestion surveillée du pouvoir.
Gouverner autrement, c’est surtout accepter de tirer profit des nanotechnologies, des biotechnologies, des outils formidables de l’informatique et des sciences cognitives, de la blockchain et de la robotisation. C’est seulement en empruntant le raccourci technologique grâce à l’intelligence artificielle que l’Afrique peut rattraper le monde et se repositionner en versant sa contribution à la « Civilisation de l’Universel ».
Mon rêve est de voir l’Afrique réaliser ses rêves sans nuire à autrui, à sortir du cercle vicieux de la pauvreté, l’ignorance, le chômage, l’insécurité et la maladie.
L’Afrique attendra-t-elle encore comme la « Terre » de la rappeuse française ?
Boubacar CAMARA
Citoyen africain du Sénégal