Le débat sur la légalité de la révocation du Maire de Dakar est pollué par une analyse bancale des partisans du régime qui confondent pouvoir de révocation et légalité de la révocation. L’examen des textes juridiques démontre que le lien entre les deux n’est nullement établi et qu’à contrario, la démarche de désinformation (manipulation de l’opinion) menée par le pouvoir ne repose sur aucun fondement juridique.
En effet, la procédure de révocation d’un Maire, prévue à l’article 135 de la Loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités locales est strictement encadrée, du point de vue administratif, sous peine d’illégalité. Ledit article est libellé comme suit : « Lorsque le maire ou tout autre conseiller municipal est condamné pour crime, sa révocation est de droit. Les Maires et adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par un arrêté du Ministre chargé des Collectivités locales pour un temps qui n’excède pas un mois et qui ne peut être porté à trois mois que par décret ». La légalité d’un décret de révocation d’un Maire nécessite que des conditions soient remplies :
L'intéressé doit avoir été entendu ou invité à fournir des explications écrites sur les faits qui lui sont reprochés. Cela suppose que les faits lui soient communiqués pour qu'il soit à même de se rendre compte qu'une sanction administrative est engagée contre lui. Cette obligation d'information est substantielle et a été consacrée par de nombreuses jurisprudences en France (CE 13 novembre 1953, Gillot, Lebon p. 488 ; CE 8 juillet 1938, Mailloux, Lebon p. 649).
La preuve doit être apportée sous 2 formes : soit par l'audition par l'intéressé, soit par la réception de ses observations écrites. Un délai suffisant doit être accordé au Maire, pour présenter utilement sa défense L’inobservation de ces formalité substantielles (sanction prononcée sans tenir compte des explications fournies par le maire) a été sanctionné par le juge français (CE 7 juillet 1971, Simonetti, Lebon p. 512).
Tous ceux qui affirment que le rapport de l’Inspection Générale D’Etat suffit à lui seul pour révoquer le Maire de Dakar sont aux antipodes du Droit. Lorsque l’article 140 énumère (liste non limitative) 8 fautes qui peuvent entraîner l’application des dispositions de l’article 135 et conclut « que dans les 7 premiers cas, la sanction administrative ne fait pas obstacle aux poursuites judiciaires », il établit une distinction claire entre la sanction administrative et les poursuites judiciaires qui doivent donner lieu, à 2 procédures distinctes (qui peuvent être conduites simultanément).
Lorsque l’ex Président Français, Nicolas Sarkozy a pris le décret du 13 janvier 2011, révoquant le Maire M. Ahmed SOUFFOU « mis en examen pour aide au séjour, usage de faux et corruption », ledit décret visait expressément la lettre du Préfet de Mayotte en date du 16 septembre 2010, par laquelle il invitait M. Ahmed SOUFFOU à lui communiquer ses observations sur les faits qui lui sont reprochés. Malgré la mise en examen du Maire (procédure pénale), la procédure administrative menant à la révocation a été strictement respectée. Dans l’affaire Khalifa SALL, seule une procédure pénale a été engagée qui a donné lieu à 2 décisions (un jugement du Tribunal d’instance de Dakar du 30 mars 2018, et une confirmation de la condamnation du Maire à 5 ans de prison ferme, par la Cour d’appel de Dakar le 30 aout). Cette procédure est toujours en cours (du fait d’un pourvoi en cassation envisagé par les Conseils du Maire).
Il apparait clairement, que sur le volet lié à la sanction administrative (révocation), le pouvoir n’a pas respecté la procédure prévue par l’article, 135 de la Loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités locales « Préalablement à toute révocation, les Maires et adjoints, doivent être entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés ».
A ce jour, le régime ne peut brandir aucun document officiel attestant qu’une notification officielle a été adressée au Maire de Dakar, par les autorités administratives (Ministère de la Gouvernance territoriale, du développement et de l’aménagement du territoire) envisageant une sanction administrative (révocation) et lui demandant d’apporter ses explications écrites. A preuve, le rapport de présentation du Ministère de la Gouvernance territoriale, du développement et de l’aménagement du territoire vise les 2 décisions de Justice (jugement de 1ére instance le 30 mars 2018 et Arrêt de la Cour d’appel de Dakar du 30 aout 2018), et ne mentionne aucun autre acte administratif.
Une révocation implique une procédure administrative (notification officielle de la sanction administrative envisagée à l’intéressé et demande d’explication sur les faits qui lui sont reprochés). C’est seulement au terme de 2 ces étapes qu’un décret peut être pris par le Président pour révoquer le Maire de Dakar.
Le décret présidentiel n°2018-1701 portant révocation du Maire de Dakar, est totalement illégal, parce qu’il n’a pas respecté ces 2 étapes, méconnaissant gravement les dispositions de l’article 135 qui précisent « qu’aucune suspension ou révocation ne peut avoir lieu sans que le Maire ne soit entendu » par les autorités administratives. Dans cette affaire, le régime s’est fourvoyé. Chaque procédure (administrative ou pénale), pour être légale et conforme au Droit, nécessite que des formalités substantielles soient respectées. Il ne faut pas confondre pouvoir de révocation et légalité de la révocation. La question ne porte pas sur le fait de savoir si le Président peut juridiquement révoquer le Maire, mais sur la légalité du Décret présidentiel en date du 31 aout 2018. La réponse coule de source : le Décret présidentiel N°2018-1701 portant révocation du Maire de Dakar, est totalement illégal.
Par ailleurs, jusqu’au terme de la procédure pénale (Cour suprême), le Maire de Dakar est présumé innocent, et à ce titre sa déclaration de candidature aux élections présidentielles de 2019 ne fait l’objet d’aucune contestation possible, d’un point de vue juridique.
Tous les observateurs se souviennent de la leçon magistrale de Droit administrée au régime par le Doyen et Eminent professeur de Droit, Jacques Mariel NZOUANKEU (Directeur de la Revue des Institutions Politiques et administratives du Sénégal), dans un article intitulé « Observations sur la légalité des actes portant nomination des membres de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption et propositions de régularisation », lorsque le Président Macky Sall a pris un décret illégal, pour limoger Nafi Ngom KEITA, Ex-Président de l’OFNAC (Office National de Lutte Contre la Corruption).
Enfin, le spectacle ahurissant de Macky SALL s’adressant à 14 millions de sénégalais le 16 février 2016 à la télévision nationale pour leur dire les yeux dans les yeux (mensonge du siècle) qu’un avis du Conseil Constitutionnel est une décision a plongé la nation sénégalaise toute entière dans la stupéfaction. Le démenti apporté aussitôt par 45 Professeurs de Droit, par le Constitutionnaliste Babacar Gueye (un des rédacteurs de la Constitution de 2001) et par le Professeur Agrégé en droit public Serigne DIOP, ancien Médiateur de la République est encore frais dans tous les mémoires. La preuve que le Sénégal a déserté le chemin du Droit, se muant sous le magistère de Macky Sall, en une République bananière.
Il ne faut point se tromper : ce régime et ses « JUGES » sont aux antipodes de la LEGALITE.
Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr