La fête de Noël me paraît être une excellente occasion pour parler du voile islamique, puisque la figure de Jésus réunit les chrétiens et les musulmans dans une même dévotion. Que les premiers lui attribuent une nature divine et que les seconds ne le considèrent que comme un prophète ne change pas fondamentalement la donnée du problème qui nous occupe, d’autant plus que le Coran honore également la Vierge marie.
Voilà donc deux points d’ancrage susceptibles de rassembler les croyants des deux religions et de créer au minimum un noyau de sympathie indispensable à la réflexion, si nous voulons qu’elle soit sereine, objective, dénuée de toute violence passionnelle propre à enflammer un auditoire mais néfaste à la compréhension mutuelle que permettent l’étude du contenu dogmatique de la religion et l’attention portée au comportement, aux intentions, à l’état d’esprit et aux sentiments profonds des personnes qui la pratiquent ou s’en réclament.
Aucune discussion sérieuse n’est possible dans un climat de haine, de mépris ou d’indifférence hautaine. Cela est vrai pour tout le monde.
Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas fermer les yeux devant l’attitude de ceux qui acceptent une vérité ou une logique à sens unique, serait-ce à l’intérieur d’une même communauté. Tout exige la réciprocité. La recherche de l’apaisement est à ce prix. Se jeter mutuellement des « vérités » à la tête, fussent-elles prétendument historiques, ne contribue en rien à l’établissement des réalités objectives. Il est plus constructif de considérer l’ensemble des réalisations obtenues par une civilisation, dans tous les domaines, y compris l’art et le savoir, que de s’en tenir aux violences qui ont émaillé les siècles de lutte et de pouvoir.
Ce que nous voyons dans les pays musulmans visités nous émerveille toujours. Tout n’est pas parfait certes, et en France non plus. Les mendiants d’ailleurs seraient-ils plus humiliants pour les pays étrangers que ceux de la France ? Sachons garder la mesure des choses et regarder ce qui se passe ici, pour ne pas oublier que 25% des jeunes d’origine immigrée sont réduits à la pauvreté. Qui oserait prétendre que c’est uniquement leur faute ? Qui ne comprend la relation entre un tel état de fait et la délinquance qu’il engendre ? Pourquoi juger une communauté musulmane en France avec des critères biaisés ?
Notre appréciation est totalement faussée. Si nous ne la changeons pas, rien ne pourra évoluer en profondeur. Nous sommes victimes des évènements, des actes terroristes, et nous perdons notre lucidité. La suspicion s’installe, suivie de la méfiance et de l’incompréhension, laissant réapparaître des préjugés surannés, des clichés archaïques qui ne résistent à aucun examen attentif. L’engrenage fait le reste. Ainsi, à cause du port du foulard, la laïcité serait en danger. Mais quelle laïcité ? Celle qui admet la présence dans les lycées français d’aumôniers, de religieuses ou de laïcs engagés ? Celle qui conduit ès qualités un premier ministre et sa délégation au Vatican pour la béatification d’une personne, de surplus étrangère à la France ? Celle qui prévaut dans les trois départements concordataires où n’existe pas la séparation de l’Eglise et de l’Etat ?
Ne convient-il pas de dénoncer l’hypocrisie qui consiste à prétendre que la laïcité serait absolue et que quelques mères accompagnatrices des enfants dans des sorties scolaires la violeraient et la menaceraient gravement ?
Commençons par mettre de l’ordre dans la pratique quotidienne de la laïcité ! Cessons de la bafouer jour après jour ! Ensuite seulement, nous pourrons laisser agir les censeurs intransigeants. Pour certains, l’élaboration d’une loi sur mesure semble habile sur le plan électoral. Ce serait en réalité une grosse faute politique, entraînant des conséquences négatives en France et plus encore à l’extérieur.
Par ce projet de loi, les musulmans du monde entier se sentent visés, attaqués injustement, insultés, touchés dans leurs convictions religieuses. Que ceux qui ne veulent pas les écouter ni se ranger aux arguments de la raison, de la réconciliation, de l’union et de l’intégration, se demandent au moins s’il est opportun de les provoquer inutilement dans le contexte actuel. Une loi de circonstance n’est jamais bonne.
La loi anti-foulard islamique, ayons au moins la franchise de dire son nom, sera au mieux, superflue, inopérante, au pire, dangereuse. Elle sera l’expression d’une idée de laïcité rétrécie, racornie, sectaire, réductrice, frileuse, défensive, bref une notion que nous rejetons parce qu’elle ne correspond pas à celle que nous nous faisons d’une laïcité ouverte, positive, pédagogique, au service d’un idéal authentique, républicain, démocratique, loin de cette insupportable mauvaise foi qui est un danger bien plus pernicieux que le mal que l’on prétend combattre.
Nous avons prononcé le mot intégration. Il signifie qu’un individu ou un groupe s’incorpore à une collectivité, à un milieu, en respectant les lois et les règles de la société à laquelle l’un et l’autre désirent appartenir, par choix ou par nécessité.
Mais s’intégrer ne veut pas dire abandonner ses propres coutumes et traditions. Incorporation n’est pas fusion. De quel droit exiger d’une personne ou une communauté renie ses valeurs ou renonce à sa manière d’être, si cela ne va pas à l’encontre de l’ordre public et n’empêche pas les autres de vivre à leur guise ?
L’originalité, les différences ne sont pas incompatibles avec l’unité de la nation. Aujourd’hui, les mères musulmanes voilées sont discriminées, stigmatisées et probablement exclues lors des sorties de classe. Demain, les exclusions seront prononcées en vertu d’une loi. Où est le progrès ? Un rejet de plus, une espérance en moins.
Nous devions remplacer le mot « tolérance » par le terme plus noble de « respect ». Se montrer respectueux envers les autres, leur dignité, leur religion, leurs façons de se conduire et d’exister va bien au-delà d’une simple tolérance, humiliante, précaire, révocable, condescendante. La laïcité n’est qu’un rempart. Cessons donc de lui demander plus qu’elle ne peut apporter et luttons contre toutes les formes de racisme et l’islamophobie rampante en France.
Alors le problème sera ramené de lui-même à ses justes proportions.
Ibrahima Thiam,
Président Autre Avenir
M. Thiam je vous tire mon chapeau. Vos analyses sont toujours claires et limpides. Je n’ai pas encore lu parmi les contributeurs en France, celui qui peut rivaliser avec vous, encore moins les hommes politiques de la diaspora qui connaissent que battre le macadam pour manifester.
Vous ne lâchez rien et toujours à l’aise avec tous les sujets.
Bravo!!!