A la lecture de ce qui a été présentée comme une lettre de Guy Marius SAGNA au directeur de la MAC de Rebeuss, la question fondamentale que se pose tout ancien pensionnaire de cette citadelle du silence c’est : comment est-ce possible ? Une missive qui décrit aussi précisément le quotidien des détenus ne peut sortir de Rebeuss. Pour en convaincre, nous actualisons cette chronique publiée en septembre 2016.
Ne te crois surtout pas au Sénégal en franchissant les portes de la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss. Ici, il n y a rien qui rappelle la République pas même la société. Les lois et normes les régissant y sont inconnues. Quand tu débarques, après que le Procureur ou un juge t’a notifié un mandat de dépôt, tu es forcé de te déshabiller. Que tu ais 50 ans et qu’à côté de toi se trouve un jeune qui lutte avec la puberté n’y change rien. Il faut que les gardes vérifient si vous ne cachez pas quelque chose entre les fesses. Et pour s’en assurer, tout le monde s’accroupit. Malheur à ceux qui ont la diarrhée. Les présentations aux relents d’intimidations ne durent que le temps d’une rose. Très rapidement, le dispatching est fait. Et sous la conduite d’un garde, les nouveaux arrivants, divisés en groupes, rejoignent, la peur au ventre, leurs nouveaux voisins.
Que les férus de films hollywoodiens ne se trompent guère. Un ou deux détenus par cellule, il n y a que les très grosses cylindrées du genre Karim WADE ou Khalifa SALL qui peuvent jouir de ce privilège. Toi, qui es accusé d’avoir insulté quelqu’un qui a porté plainte contre toi, si tu te retrouves là-bas par la bénédiction d’un procureur zélé, assure-toi de passer l’une des plus terribles nuits de ton existence. Et si le sort te poursuit ne te faisant aucun cadeau, tu vas choir dans les chambres 10, 13 ou 45. Si tu es fumeur, l’odeur du tabac va te dégouter. Si tu es asthmatique ton espérance de vie peut derechef être divisée par dix, si ton séjour carcéral se prolonge. Car dans ces chambres, dépassant à peine les 10 m2, sur les 150 et quelques détenus qui s’y entassent, plus des 2/3 sont fumeurs. En outre, avec des fourneaux, faits avec des pots de tomate vides, mille et une décoctions sont préparées. Chaque chambre est sous la responsabilité d’un chef qui est secondé par un adjoint, tous deux désignés en fonction de leur ancienneté. Malgré ce semblant d’organisation, vaut mieux enlever la bague que tu portais fièrement au dehors. Si les intimidations ne t’incitent pas à la donner comme cadeau, assure-toi qu’au réveil, un quidam l’a enlevée de ton doigt. Et c’est au cas où tu parviens à fermer l’œil. Car, avant de faire face au procureur, tu peux éprouver toutes les peines du monde que certains policiers ont pris un malin plaisir à t’infliger, sans avoir la possibilité de dormir une fois dans une de ces chambres. Les sardines sont moins serrées dans les boîtes de conserve. Ici, le couchage obéit à une règle. Les détenus sont traités en fonction de la nature des forfaits qui leur sont imputés. Les «Flagrants», comme on les appelle, ceux-là dont les dossiers ne nécessitent pas une véritable enquête et qui peuvent passer très rapidement devant un juge, sont moins lotis. Les « corroc », du nom des détenus qui ont déjà passé là-bas des lustres et qui n’ont aucune idée de la date de leur face-à-face avec le juge, sont installés sur des estrades. Pour faire plus de places, des sortes de comptoirs ont été construits dans certaines chambres, comme pour faire des lits superposés. Pendant que les « corroc » occupent ces places, les « Flagrants » qui sont beaucoup plus nombreux se bousculent dans le reste de l’espace. Pour l’organisation de la couchette, tout le monde est mis à contribution, car il faut faire vite les lampes ne tardent pas à être éteintes. Le «pakétass» est le seul moyen de permettre à tout ce beau monde de se coucher. Le procédé est simple. Les « corroc », après avoir installé les cartons sur le sol, demandent aux uns de se coller aux autres de sorte que deux détenus qui sont côte-à-côte, l’un a la tête au nord, l’autre au sud. Tant que les orteils de l’un ne touchent pas la bouche de l’autre, ce n’est pas correct. Il n’est pas question de se coucher sur le ventre encore moins sur le dos. Si par malheur, une subite diarrhée t’indispose la nuit, sache que les toilettes sont aussi occupées. Et, à moins que tu ne fasses tes besoins sur toi-même, au risque de t’attirer d’énormes inimités, c’est le lendemain simplement que tu pourras te soulager. Quand tout le monde se couche, il n’est plus possible de se déplacer.
Le lendemain, puisque que c’est ta première nuit là-bas, tu es tiré vers 9 heures de ta chambre, pour l’enregistrement. Tes empreintes sont prises ainsi que toutes les informations relatives à ton physique. Après l’enregistrement, si les deux heures de promenade sont écoulées, tu regagnes ta chambre en attendant le lendemain. A Rebeuss, tous les détenus qui y ont fait plus d’un an trainent les pieds. Avec deux heures de sortie des chambres par jour, beaucoup ont presque perdu l’usage de leurs jambes qui s’en sont retrouvées flétries. Les deux heures de promenade permettent aussi de faire des emplettes. Ton argent qui a été récupéré avant que tu ne rentres, t’es progressivement retourné à travers des bons qui te permettent de faire des achats. Mais, tu n’as pas pris le petit déjeuner et c’est peut-être mieux ainsi. Il ne faut pas trop s’y habituer. Si tu es étonné par la couleur du lait qui t’est servi, des détenus, les anciens, ont l’explication. Le déjeuner n’est guère plus attirant. Si tu n’as pas des parents ou des amis qui t’envoient quoi mettre sous la dent, le « diaga » est pour toi. Pour te convaincre que c’est plus de la colle que de la nourriture, un détenu en prend une poignée qu’il jette au mur. Il te dira que tant que tu es à Rebeuss, tu la verras tous les jours. Tant que tu ne l’enlèves pas, elle demeurera à sa place. Et même pour la détacher du mur, il faudrait un outil aussi solide que pointu.
Et pourtant, tout n’est pas dit.
Mame Birame WATHIE