Le seul pari qui vaille pour le Sénégal est à mon avis le développement industriel reposant sur l’agrobusiness. Pour réussir ce pari, l’Etat sénégalais devrait consentir des investissements importants aussi bien dans la recherche que la modernisation de la production en veillant à une bonne maîtrise de l’eau. C’est ainsi que nous parviendrons à accroître la production et à intensifier notre capacité de transformation et de commercialisation des produits issus de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage. Aujourd’hui, aucune économie ne peut se prévaloir d’être concurrentielle si elle se limite à exporter des matières premières ou des produits bruts. Le Sénégal n’échappe pas à cette règle qui le place sous le diktat des pays riches.
Avec le coronavirus ou Covid-19 qui a secoué le monde en fragilisant les économies les plus solides de la planète, un nouvel ordre économique mondial se dessine à l’horizon offrant à des petits pays et aux économies modestes la possibilité de se repositionner. Ce sera l’ère d’un nouvel ordre économique mondial. Mais pour parvenir à s’imposer dans un tel contexte à la suite d’une pandémie de l’ampleur de la COVID 19, notre pays devrait songer à la restructuration des PMI agonisant sous le poids des taxes et impôts cumulés au fil du temps. Il est impératif de renégocier avec ces PMI de nouvelles échéances de paiement ou, à la limite, d’effacer les créances douteuses afin de leur permettre de se remettre au travail et de contribuer à la relance de l’économie de notre pays.
Les promesses d’une économie reluisante avec la découverte des hydrocarbures ne doivent pas nous pousser à négliger l’Agriculture, le seul secteur qui transcende le temps, nourrit les peuples et leur permet de prospérer. Notre pays dispose de terres fertiles et de suffisamment d’eau et de bras valides pour se nourrir et s’enrichir grâce à l’Agriculture. Cependant, faudrait-il que le secteur fasse l’objet d’une régulation et que la gestion foncière repose sur une bonne gouvernance. La question de l’accès de tous, particulièrement des femmes, à la terre doit faire l’objet d’un examen judicieux car les femmes sont des pionnières incontournables dans le contexte de la valorisation de la terre par l’Agriculture.
La protection de l’environnement et l’agro-écologie devront être au cœur du dispositif de relance de l’agriculture afin d’assurer à notre pays une sécurité alimentaire de transition vers une autosuffisance graduelle. Les exploitations de type familiales sont à revitaliser dans un contexte de gestion équitable de l’accès à la terre par les nationaux. Les nationaux devront bénéficier de l’accès aux crédits concessionnels pour entreprendre des exploitations de grande échelle. Fini le temps de la houe et de la daba face un potentiel aussi énorme que celui offert aux exploitants dans notre pays.
Dans le contexte d’un nouveau deal pour le développement de l’agro-industrie, je propose qu’une partie des ressources mobilisées dans le cadre de Force Covid 19, soir quelque 1000 milliards de nos francs, soit utilisée pour investir dans l’implantation de nouvelles unités de production agro industrielle. Ainsi, après la relance des usines en faillite ou en panne, l’option de lancer des projets d’implantation d’usines au niveau des terroirs avec l’option d’un produit par zone pourrait être bénéfique à notre économique. Les investisseurs nationaux particulièrement les collectivités territoriales et ceux de la diaspora pourraient être mis largement à contribution dans le capital de ces nouvelles unités de production.
Quant à la prise de participation des collectivités territoriales dans les capitaux des nouvelles unités agro-industrielle, l’Etat encouragera les projets intercommunaux. Ainsi des dotations spéciales pourraient provenir des fonds de concours de l’Etat et constituer des avances aux collectivités afin de financer leurs projets. Avec de telles dotations, chaque département pourrait choisir un produit du terroir et monter un projet d’usine dont le capital serait contrôlé en partie par les communes dudit département. Des clusters pourraient être créés avec des unités industrielles intégrées en vue d’emmailler le pays et de s’assurer que l’ère de l’industrialisation a sonné. Ngaye Meckhé pourrait accueillir le cluster des peaux et cuirs.
Tout près de nous, la Côte d’Ivoire pourrait s’offrir en exemple. «L’Avenir de la Côte d’ivoire repose sur l’agriculture», avait coutume de dire le Président Félix Houphouet-Boigny en dépit des énormes richesses très diversifiées (diamant, or, pétrole) de son pays. Il ne cessait de mettre en garde son peuple contre le mirage des richesses du pétrole et du gaz qui selon lui ne constituaient pas des acquis durables. Aujourd’hui l’histoire semble lui donner raison. Sinon comment comprendre que le Nigeria qui fut le premier pays africain exportateur de pétrole soit resté longtemps sans raffinerie alors que la Corée du Sud qui ne produit aucune goutte de pétrole dispose de plus d’une vingtaine de raffineries.
La Corée du Sud, il faut que nous nous y arrêtions parce que ce pays qui affichait au début des années 80 le même niveau de produit intérieur brut que le Sénégal est aujourd’hui une nation émergente qui apporte de l’aide aux pays les plus démunis dont le nôtre. La Corée dont la révolution industrielle continue de faire des émules avait fait un pari net et clair sur le développement de la recherche technologique et industriel. Le pays faisait partie des pays les plus pauvres au monde en 1960. Aujourd’hui, la Corée est admise dans le cercle fermé des pays du G20. Au nombre des performances de ce pays, on peut citer sa performance dans le secteur des raffineries et sa position de pôle d’excellence du développement technologique.
Dans une note de Michel Fouquin publiée dans le bloc du CEPII en 2018, l’auteur nous rappelle que la stratégie d’industrialisation de la Corée a été axée sur le développement des industries légères avant de passer à des secteurs à fort investissements à savoir électronique, sidérurgie, automobile, pétrole, et autres. C’est ainsi que grâce à la protection de l’Etat, des investissements dans la recherche et le développement ont permis à la Corée de s’imposer à la face du monde comme une puissance économique. Lors d’une de mes missions en Corée du Sud, j’ai pris un taxi qui me ramenait à l’aéroport de Séoul. Au cours du trajet, je demandais au chauffeur âgé d’une cinquantaine d’année en quoi tenait le succès de son pays. Il me répondit sur un ton serein : « Notre secret ? C’est de toujours aspirer à être meilleur que le Japon qui avait colonisé la Corée du Sud». Le Sénégal doit-il alors aspirer à être meilleur que la France ?
Aujourd’hui, notre pays peine à assurer une sécurité alimentaire. Sa dépendance à l’importation de vivres, particulièrement le riz, dépasse l’entendement. Plusieurs facteurs contribuent à cette situation déplorable dont notamment l’insuffisance de l’encadrement de l’Etat et le manque de rationalisation des structures en charge de l’activité. Bien qu’au Sénégal, les chercheurs cherchent et trouvent, la valorisation de la recherche souffre encore des incohérences institutionnelles et de l’insuffisance des ressources dédiées. Il en est de même de la production, de la conservation et de la transformation qui souffrent d’un manque criard d’infrastructures. Pourtant, le Sénégal dispose de ressources humaines de qualité. En outre, le dynamisme de la population sénégalaise avec plus 60% ayant moins de 20 ans est un puissant levier de développement.
Loin de moi, l’idée de remettre en question le Plan Sénégal Emergent (PSE) mais même si l’industrialisation est prise en compte dans les programmes du PSE -qui est un plan cohérent-, elle ne constitue pas un pari clair et précis. Bien vrai que le Sénégal a un excellent programme de développement mais il lui manque un pari sectoriel qui puisse donner l’impulsion du développement économique et social avec la création de richesses et d’emplois. Tantôt notre pari c’est l’agriculture qui n’a pas encore tenu toutes ses promesses, tantôt ce sont les ressources humaines qui peinent à être valorisées si l’on tient compte du taux de chômage très élevé et de la présence très marquée de la main d’œuvre étrangères particulièrement européenne, turque et chinoise. Tantôt et cela, depuis la découverte du pétrole, ce sont les industries extractives qui constituent la ligne de mire.
Le pari de l’industrialisation qui bénéficierait d’allocation de ressources conséquentes, d’un business model pertinent confié à des leaderships fort marqués, fera du Sénégal un havre de prospérité et de paix. Mais l’absence d’un pari judicieux est handicapant et crée des confusions. L’ossature institutionnelle de notre pays construite autour des pôles ministériels ne garantit pas de résultat durable du fait de la compétition au lieu de la complémentarité entre ministères. Dans un tel dispositif, chaque ministère aspire à être plus performant que les autres même s’ils n’ont pas les mêmes compétences du fait des aspirations politiques. Ce désordre place parfois le Président de la république en mauvaise posture d’arbitrage. Les ministères se positionnent chacun en ce qui le concerne comme le seul secteur porteur de développement durable de telle sorte que le pays est maintenu dans le cercle vicieux des investissements aux résultats limités dans la durée.
Le pari de l’Agro-industrie à savoir l’ensemble des activités industrielles liées à l’agriculture est le bon pari pour le développement du Sénégal. Plusieurs activités sont ainsi prises en compte telles que les activités de recherche, les infrastructures agroalimentaires incluant engrais/pesticides, outils et machines, engins, équipements, harnachement des animaux de trait, bioénergies, cuirs, textiles, huiles, pâtes, céréales, cosmétiques, aliment etc.
Le nouvel ordre économique mondial que préfigure la période post COVID-19 sera une opportunité offerte à l’Afrique pour obtenir une juste rémunération de ses matières premières. Le diktat des prix ne devrait être qu’un souvenir tout comme la lancinante question de la détérioration des termes de l’échange si l’on fait le pari sur l’agro-industrie.
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